mardi 23 décembre 2008

Nostalgie

Je roulais depuis bientôt quatre heures lorsque j'aperçus sur le bord de la nationale une petite aire de repos somme toute fort sympathique. L'heure étant à l'arrêt et à la restauration, je décidai de m'y arrêter le temps nécessaire à reprendre des forces. Il m'en fallait bien !
*****
Je venais de quitter ce matin ma demeure, plutôt mon ex-demeure, dans la région de Bar-le-Duc. Quitter ! Le mot était bien faible ! Expulsé aurais-je dû dire ! Mes enfants, ayant jugé leur père gâteux, avaient décidé d'un commun accord (accord si commun qu'il me semblait presque outrageant n'eût été la gentillesse précipitée de ma belle-fille) de m'envoyer en maison de retraite. Moi ! En maison de retraite ! N'est pas né celui qui pourra m'y forcer ! Pourtant, il faut avouer que leur tour était bien conçu. Si bien que je me demande encore comment j'ai pu vouloir payer des études d'ingénieur à mon fils ! C'est la vie qu'ils m'ont dit, tu as fait ton temps, tu ne peux pas rester tout seul, une si grande maison bon-papa, vous ne vous rendez pas compte des dangers ... et patati et patata ...
*****
J'ai donc fui, ce matin même, en emportant toutes mes petites affaires. Tout ce qui me reste de cher et précieux : mes albums souvenirs, ma collection de livres d'histoire, mes vieilles frusques et les quelques bibelots qui me venaient de ma mère. J'ai tout enfourné dans ma vieille Citroën et j'ai pris le large. Bien malins s'ils me retrouvent. J'ai pris le chemin du sud sans savoir où aller et puis j'ai bifurqué plein est. A Dieu Vat !
*****
Le soleil s'était levé du bon pied, on pouvait le dire. Je ressentais les effets d'une chaleur lourde et humide sur mes vieilles épaules maigrichonnes.
*****
Bientôt sur notre blog ...

mardi 16 décembre 2008

Une si tendre mort ...

Le vent d'avril me gelait au cou. J'étais encore assis malhabile entre ces coussins trop ronds et trop remplis pour être honnêtes. On m'avait charmé, on m'avait fait des ronds de jambe dignes d'une altesse mais rien n'avait autant retenu mon attention, que dis-je !, mon souffle, que cet éphèbe adolescent qui brillait par sa présence entre sa mère trop gâtée par le temps et une soeur maigrichonne et bien vilaine.
*****
Qu'elle fut longue ma route, mais je l'ai faite seul, et à genoux. Toujours tendu vers l'avenir, les poings rongés et rouges, le coeur dur et froid. J'ai toujours volontairement poussé mes pas vers ceux des autres âmes qui parvenaient à peine à me divertir, d'autant plus à me sustenter.
*****
Dinard était triste et solitaire en ce mois d'hiver pluvieux et venteux. Je ne m'y étais arrêté que le temps de reprendre un voyage vers le sud profond et ses chaleurs agréables. J'étais aussi venu au rendez-vous, mais je ne le savais pas encore. Ce rendez-vous qui allait marquer mon avenir d'un pas certain. Je n'avais jamais été bien regardant sur mes victimes, mais j'aurais du comprendre que là je ne pouvais pas. Que dans ce cas extrême, cela était au-dessus de mes forces.
*****
A mon âge, malheureusement, on ne peut plus se permettre les frasques de nos jeunes années, quoique dans mon cas, cela remonte déjà bien loin, je n'en ai gardé presque plus aucun souvenir. Et il en est, ma foi, tout aussi bien ainsi. J'étais donc installé à la taverne de mon hôtel habituel quand je le vis entrer accompagné de sa mère et de son abominable soeur aux accents ténus de cette bourgeoisie à deux sous de la côte est.
*****
Il était habillé de ce petit costume bleu boutonné d'or et enserrant une jolie blouse blanche qui formait un col dur autour du cou si tendre et si clair. Je voyais ses yeux d'un noisette mielleux, ses lèvres d'une rondeur angélique. Tellement de passions dans mes vieux membres rabougris. Je n'en avais pas l'air, certes, et pour quiconque m'aurait vu, l'on m'aurait pris pour un trentenaire, mais la vieille plaie s'était ouverte en moi, une plaie plus vieille que le monde que personne n'avait pu refermer depuis et qui m'avait fait tel que l'on me connaît aujourd'hui.
*****
J'aurais du fuir, m'en aller de là, bouger, chercher d'autres proies plus faciles. Mais je suis resté pétrifié devant cette apparition si cruelle et si délicieuse à mes yeux délavés par la tiédeur du monde. Je me mirais dans ses cheveux d'un blond cendré d'une longueur si incroyable pour cette période où le puritanisme humain frappait si fort. Et je me pris à rêver à d'innombrables et d'incessantes caresses et d'un corps alangui sous d'autres cieux plus bleus et plus rageurs.
*****
Je ne sus jamais son prénom. D'autant qu'il me revienne, cela n'eut aucune importance?. J'étais né voici longtemps en terre nantaise, issu d'une famille de la haute noblesse, j'égayais mes voisins et familiers par mes frasques sombres et dépensières. Mais tout cela prit fin dans le sang et l'effroi comme il convient de l'écrire. Je n'aurais jamais pu rien faire, rien ajouter. Aujourd'hui encore, je ressens la corde dure et froide qui m'enserra le cou. Ces fous pensaient en finir avec moi. Mais rien n'a pu m'arrêter jusque là !
*****
J'attendais tous les soirs qu'il passe dans le restaurant, me dévoilant son visage d'archange et ses gestes de félin. j'en étais obsédé. Je n'en dormais plus, n'en vivait plus. Je ne subsistais que par procuration pour lui et son corps. La journée, allongé dans un transat blanc et vert, je le regardais batifoler dans l'eau froide et sombre de La Manche, son corps emmailloté dans un ensemble bleu et blanc soulignant s'il en était besoin ses formes généreuses.
*****
Un grand penseur français a écrit un jour, quelques siècles après moi, que l'homme éprouve une certaine propension à faire le mal autour de lui, qu'il est dans sa nature profonde d'être mauvais. C'est vrai ! Et faux tout à la fois. L'homme est une créature étrange : mauvaise comme une belle-mère et en même temps capable des plus grandes divagations d'amour. On n'est jamais tout blanc ou tout noir, mais d'un gris plus ou moins fort selon ses propres actes. Les miens n'ont jamais été fameux si j'en juge par le regarde que les siècles portent sur moi.
*****
J'ai attendu, je me suis rongé intérieurement d'être devenu si minime, si enclin à l'amour. Et puis, j'ai compris que je n'existait plus depuis bien trop longtemps. Pierret et Pierrenet avaient disparu eux-mêmes depuis plus de cinq cent ans et j'étais déjà bien trop vieux pour tromper mon ennui dans les bras d'un autre éphèbe. La vie avait gagné contre son vieil ennemi.
*****
Ce jour là, j'ai rangé mes affaires, remis mon épée dans son grand étui de voyage, replié les vieilles frusques que j'avais gardé en souvenir de mes fautes d'autrefois et de mes crimes actuels. J'avais poutouné durant quelques temps les photos d'un jeune garçon auquel j'avais tranché la tête avant de le violer. Je les ai brûlées ! Puis, j'ai rejoint l'église. Elle seule peut me comprendre. C'était déjà vrai à cette époque. Ça l'est encore actuellement. Elle me comprend toujours et ne me juge jamais, ma Bonne Dame Sainte Mère. Je l'ai pourtant souvent déçue. Mais cette fois, j'étais prêt à tout pour qu'elle puisse prendre sa revanche sur moi !
*****
J'ai rejoint la plage après quelques pénitences bien senties et de vagues remerciements à ma Bonne Dame. Le soleil était encore haut dans le ciel et je me suis donc rendu dans mon coin favori. Je suis mort une première fois en 1440, le 26 septembre pour être précis. Je ne voulais pas revenir ... mais je n'ai pas eu le choix. Peut-être vous demanderez-vous si Dieu existe. Soyez certain du contraire. Je vous assure que tout principe fondateur unique n'est qu'une pure utopie et une déformation de la réalité.
******
Je ne suis pas mort une seconde fois ! Le soleil n'a pas voulu de moi. L'exposition me fut certes pénible et douloureuse, mais encore une fois je survécus ! Je n'ai jamais revu ce jeune éphèbe qui me tortura le coeur et l'âme en me poussa à vouloir ardemment mettre un terme à une existence affreuse et longue. J'ai fui l'hôtel au plus vite en laissant une partie de ma fortune à cet amour unilatéral de passage. Car je suis encore riche, voyez-vous. Immensément riche. Prelati n'avait pas menti. Ils l'ont pendu, mais il avait dit la vérité. Et chaque jour, il me manque un peu plus ... son rire sinistre, ses yeux sombres et excitants ... tout me manque ...
*****
Peut-être croiserai-je un jour votre route. Cachez vos garçonnets, fuyez ma présence, exécrez l'homme qui jadis trucida l'âme même de la jeunesse corrompue de France et qui devint si célèbre que même aujourd'hui son nom honni des cieux hante les livres et les contes ...
*****
Un récit de DorianGray

mardi 18 novembre 2008

L'écriture ... comment, pourquoi ....

On entend souvent parler des gens qui tentent d'écrire comme des allumés, des anormaux qui n'ont visiblement rien de mieux à faire que de s'asseoir devant un ordi ou devant un bloc de feuilles et d'écrire ce qui leur vient à l'esprit. Ce serait restrictif autant que grossier. On n'écrit pas, certes, pour les autres ou encore pour les critiques (fussent-elles positives !), mais on écrit pour soi avant tout ... pour sortir ce qui nous trotte dans la tête, ce qui nous empêche de dormir ou de rêver convenablement. On écrit pour soi et seulement ensuite pour les autres. En faisant cela, on ne cherche pas l'approbation, ni l'amitié, ni même l'amour des potentiels lecteurs, on cherche tout simplement son propre bien-être et sa propre joie ! Il faut être tout d'abord bien au fait de cela, car sans quoi, on deviendrait tel Lovecraft, sombre et solitaire, floué et restrictif dans nos choix et dans nos manières. Il faut oser. Oser pour soi et non pour les autres. Oser créer ! Même si cela ne plaît pas forcément !
*****
Écrire c'est un acte de création en soi ! Il existe plusieurs façons de s'y prendre. Personnellement, j'ai pour principe d'improviser. Dans l'enseignement, nous sommes habitués à l'improvisation. Elle fait partie intégrante de notre quotidien. Donc, je trouve une idée, je la développe en deux-trois lignes et quelques temps plus tard, j'écris l'histoire. Le récit doit être rapide, bref, sec.
Trois mots sont alors importants :
* rapidité, car une nouvelle doit être écrite rapidement sous peine d'en perdre la substantifique moelle. Il n'importe jamais d'attendre des heures, des jours, voire des semaines pour s'y remettre. On aurait tôt fait de perdre ses idées.
* quantité : rien ne sert d'être trop prolixe, les meilleures nouvelles sont souvent courtes et frappantes. Le niveau actuel est souvent aux briques longues et fastidieuses, ceci souvent dans un mauvais but pécunier. Laissez donc votre imagination à son point normal. Si c'est bref, c'est aussi bien !
* qualité, car une nouvelle exige une qualité et une précision de vocabulaire. En cinq lignes, il doit être fait état d'une ambiance ou d'un acte. Il faut surtout se rendre compte que la littérature n'est pas affaire de vocabulaire commun, il faut un peu de recherche et de volonté d'écriture avant de se lancer dans un dialogue, même si on sait parfaitement que des hommes du commun ne discuteront pas ainsi !
----------
On se demande souvent d'où vient l'inspiration. Elle vient de ce que l'on est, de ce que l'on a vécu, de ses rêves, de ses phantasmes, de ses cauchemars et même et surtout de ses goûts. Une musique peut vous influencer, j'ai entendu un jour passer la superbe chanson 'Louise' de Gérard Berliner, j'ai tout de suite voulu en faire une nouvelle. C'est comme ça, c'est l'ambiance. J'aime les nouvelles d'ambiance à la manière d'un Jean Ray ou d'un Thomas Owen. Sans prétention aucune. Une autre fois, ce sera un livre, une autre encore un film ! Je me souviens que j'ai été fortement marqué dans ma jeunesse par une série de film que la chaîne RTL passait le vendredi soir. Mon père partait alors jouer aux cartes avec ses amis et comme de bien entendu, on se retrouvait ma mère et moi, seuls à la maison. Alors on allumait la télé et on se passait des films d'horreur. C'est ainsi que j'ai pu voir La Chose de Carpenter qui à l'époque m'avait vraiment fait peur. On en reproduit jamais que ce qui nous ressemble et nous plaît. De la même manière, on ne crée que des personnages qui nous plaisent intrinsèquement. l'inspiration vient comme elle vient. Elle procède souvent en fait de l'improvisation. Souvent, on prévoit telle chose et finalement cela change en cours de chemin, c'est ça le phénomène de création ! Sinon, certaines choses restent immuables. Je me souviens d'avoir un jour remarqué, durant mes vacances, une plage perdue entre des rochers rongés de verdure. Le sable était fin, la mer jolie à souhaits, mais personne n'y descendait jamais. La faute en était, je le sus plus tard, à un chemin mal entretenu et suffisamment escarpé pour dissuader tout visiteur improbable. Cette sensation de perte et d'oubli du temps et de l'espace m'a trotté longtemps dans la tête. Je l'ai gardé en mémoire et ne l'ai ressorti que près de six ans plus tard lorsque j'ai écrit Toujours un autre jour.
---------
Souvenirs d'antan, c'est un peu la somme de mes pensées, de mes phantasmes, de mes cauchemars, de ma vie. Je ne peux parler que de ce que je connais. Chaque thème abordé recèle une part de ma vérité, de ma connaissance, de ma personnalité.
--------
'Louise' est le récit que m'a inspiré la chanson de Berliner. C'est une histoire d'une grande tristesse et d'un grand ressenti. L'écouter c'est ressentir complètement l'horreur d'une vie. C'est en cela que l'on reconnaît un grand artiste. Berliner est un véritable génie !
--------
'Hillgate's Manor' m'a été inspiré par plusieurs lectures. Lovecraft tout d'abord que je vénère véritablement en tant qu'inventeur du fantastique moderne et de l'horreur, King et son Salem's Lot, une trilogie puissante dont le premier segment 'Celui qui garde le Ver' est un véritable chef d'oeuvre du pastiche gothique.
----------
Pour 'Là-Bas' ... l'inspiration est évidente. L'un de mes chanteurs préférés est l'immense Serge Lama. Il a chanté une ode si triste et si juste aux souvenirs d'autant : 'Là-bas', chanson emprunte d'un sentimentalisme à fleur de peau et d'une nostalgie puissante.
----------
'Lamia' vient simplement d'un défi à plusieurs : écrire vite, bien et en quantité une histoire fort différente des autres . C'est 'Lamia', 4 heures, 12 minutes de recherche et une nuit de cauchemars pour la terminer. Et puis, il faut bien l'avouer. Ce récit c'est un peu aussi l'expression de mes rares connaissances en jeu vidéo ... j'aimais l'idée de l'arbre géant et anthropomorphe dans le fond des caves d'une demeure luxueuse.
------------
'Le gibier manque' est une bête histoire de chasse. J'ai horreur des chasseurs, des tueurs d'animaux stupides et trop masculins qui combattent des terreurs de la nature. Cette nouvelle est un peu une revanche contre ces gens. Le titre, c'est ma chanson préférée des soirs de fête. On se la fait avec un ami professeur de religion et un autre, ancien chef d'atelier dans ma vieille école ... c'est une chanson à boire et à femme ... merci Serge Lama !
----------
'Petite Marie' est une histoire étrange dont il serait vain de palabrer. Notre pays a été violemment frappé par des crimes monstrueux. C'est vraiment pire qu'une bête histoire de vampire !
-----------
'Selon que vous serez' m'est venue en lisant les romans de Laurent Botti. C'est une sorte de formule expiatoire qui tend à rendre ma vision de la justice. Dans certains cas, j'admets avoir un faible pour une solution sèche et expéditive !
-----------
'En attendant le ciel' c'est un pastiche, vous l'aurez deviné. J'adore réellement la qualité d'écriture de Lovecraft (bien qu'étant totalement incapable d'écrire pareillement). J'ai donc voulu contribuer à cette mythologie unique en son genre des grands anciens ... bien sur, mon histoire se démarque de celles du maître de Providence par certains cotés, mais je suis assez satisfait du résultat.
******
Un écrit de DorianGray

En attendant le ciel

La rue menant à la maison de Tyler DuPane était stricte, infime, étroite; presque imperceptible. Elle ondulait entre deux venelles sombres derrière le centre urbain de Providence, serpentant langoureusement autour de maisons de maître oubliées des années d'industrialisation et de surpopulation du début du 21ème siècle. Elle était peu importante, perdue dans son caractère historique et sans doute un peu éperdue d'elle-même par moments. D'une tristesse infinie, aurait dit le poète.
--------
Tyler habitait l'une de ces maisons victoriennes épargnées par le temps, stupide et invraisemblable refuge des traditions du temps jadis. En forme de B gigantesque en façade, elle présentait du coté droit des baies vitrées d'une véranda formidable tandis que le coté gauche dévoilait par ses fenêtres longues et étroites un bureau ordonné et tapissé de bibliothèques chargées sur tous les murs. Sur le devant de la maison, un porche soutenu par des colonnades baroque annonçait directement la couleur de l'ensemble : kitsch et d'un autre temps.
-------------
La demeure et sa propriété étaient séparées de la rue par une grille en fer forgé suffisamment haute, ce qui dissuadait assez rapidement les éventuels visiteurs importuns. Ce n'est pourtant pas ce qui dissuada Nick Fallow d'y entrer. Il était venu après lecture d'un article particulièrement intéressant dans le journal local, le Providence Inquireer. Il avait parcouru les vieilles rues de l'arrière-ville, la Providence originelle, celle où un auteur de renommée internationale avait vu le jour. Pour Nick pourtant, ce type était le plus merveilleux emmerdeur que la terre ait portée. Pensez donc, il avait du en plus l'étudier en cour de littérature appliquée, avant qu'il ne quitte l'école pour toujours. Un type qui voyait des monstres partout et en tous sens.
-------
Fallow était né à Providence, dans une famille somme toute bien bourgeoise et qui comptait dans ses illustres ancêtres un sénateur de l'état et deux colonels d'armée durant la guerre de Sécession. C'est dire s'il connaissait bien la ville, pourtant ce quartier ne l'avait jamais attiré pour ainsi dire. L'ensemble était propre, même trop. Mais cela semblait abandonné, comme oublié, presque le même aspect d'autrefois désuet que les maisons arboraient avec un prestige déchu.
-------
Tyler DuPane était venu s'installer à Providence voici près de dix ans, après une longue pérégrination dans divers pays orientaux. Il avait longtemps voyagé, vu beaucoup de choses, étudié de nombreuses cultures et de nombreuses peuplades jusqu'à ce qu'il se décide un beau jour à rentrer au pays pour profiter d'un peu de repos. Avec persévérance, il avait recherché une maison dans la ville natale de sa mère et avec une chance inouïe, il était parvenu à dénicher cette superbe demeure située seulement deux rues plus loin que celle habitée autrefois par sa famille.
-------
C'était un homme dans la force de l'âge. Grand, droit comme un 'i', sec et terriblement inflexible. Ce n'était pas seulement un grand homme cultivé, c'était aussi et surtout un chercheur, un homme de sciences et un esthète. Il avait étudié l'art et divers domaines intellectuels et en avait trouvé là un grand bonheur. Sa stature imposante faisait de lui l'un des citoyens les plus énigmatiques de cette ville. Lorsqu'il parlait avec nostalgie d'Arkham ou de l'Université Miskatonic, personne ne savait s'il jouait le jeu ou s'il voulait vraiment y croire.
-------
Nick s'avança vers le grillage ouvert de la propriété, prit son courage à deux mains et remonta l'allée vers la double-porte de la demeure. Il savait qu'il jouait son va-tout. Vingt-deux ans, sans famille fixe (il l'avait oubliée le jour où son père et lui s'étaient battu quasiment à mort), sans boulot, sans grandes études, il possédait pourtant une belle culture, mais cela n'était malheureusement pas suffisant à un emploi de qualité. Il espérait néanmoins que DuPane allait l'accepter. Des bruits courraient sur son dos et même si Nick comprenait qu'il ne pouvait s'agir que de légendes morbides autant que stupides, il savait que cet homme ne trouverait pas aussi facilement ce qu'il cherchait.
-------
Recherche jeune homme (environ vingt ans) pour effectuer quelques menus travaux dans ma maison, Clos des Quais, 183. Paiement effectif et avantages en nature. Se présenter à l'adresse. Motivation, détermination, pas d'attaches trop prononcées. Prof. Tyler DuPane, Providence.
--------
Nick avala sa salive et sonna. Dans le fond de la maison, il entendit nettement le bruit d'une porte que l'on referme avec fureur et puis des pas qui s'approchaient. L'homme qui vint lui ouvrir était plutôt grand, le visage allongé et sévère de celui qui en sait plus que les autres. Il fixa le jeune homme droit dans les yeux et se décida finalement à le laisser entrer. Nick pénétra dans un vaste vestibule terminé au fond par un mur percé de trois portes en bois sombre. Les murs étaient tapissés dans des teintes aussi sombres que la décoration. Deux miroirs dorés se faisaient face au milieu du vestibule, élargissant la portée de la pièce.
*****
- Vous êtes venu pour l'annonce, je suppose ? Entrez, nous allons passer à la cuisine, nous y serons plus à l'aise pour discuter de vos capacités.
*****
Nick suivit le professeur à travers la demeure qui lui apparaissait bien plus grande qu'il ne l'avait pensé au départ. Ils prirent la porte centrale et passèrent dans une sorte de couloir assombri avant de se retrouver dans une pièce claire, imposante et surmontée d'une grande verrière aux montants en fer forgé. C'était là ce que le savant avait appelé 'la cuisine'.
*****
- Asseyez-vous, fit froidement DuPane. Vous êtes donc venu pour le travail ...
*****
Ce n'était pas une question, juste un fait.
*****
- Oui, professeur. Je me nomme Nick Fallow Oxley. J'ai vingt-deux ans. Vous trouverez cela peut-être jeune mais je suis déjà capable de vous fournir un travail de qualité.
- Quelles études avez-vous réalisées ?
- J'ai étudié l'histoire de l'art à l'Université de Providence, avant de me disputer avec ma famille et j'ai donc du abandonner à partir de la deuxième année. Je n'ai plus de famille pour ainsi dire.
- Histoire de l'art, hein ? Intéressant. Vous n'avez plus de contact avec votre famille ? Plus aucun ?
- Plus aucun. Cela ne vous dérange pas je suppose, c'était inscrit ainsi dans votre annonce.
- Non, cela ne me dérange pas. Ce n'est pas là la question. Mais vous me semblez bien jeune et peu expert, c'est tout. Parlez-moi un peu de vos exigences salariales.
- Je n'ai aucune demande autre que le logement et le couvert. Je cherche un endroit où loger, je cherche un patron juste et droit, intelligent et possédant une demeure agréable.
- Je ne suis pas certain que le mot agréable soit un adjectif pour ma demeure. Toutefois, je serais d'avis que vos exigences sont toutes petites. Vous êtes véritablement amusant, vous débarquez ici, sans diplôme, sans aucune lettre de créance, sans aucune distinction, vous me dites le plus simplement du monde que vous n'exigez rien et que vous serez parfait pour cet emploi. Amusant, non ?
- Je ne suis pas certain que je me sois bien fait comprendre. Je ne suis pas issu d'une simple famille, mais d'une petite bourgeoisie des environs de Dunwich. J'ai fait de brillantes études auprès du professeur Ambrose Dexter, qui me promettait un avenir glorieux au sein même de l'Université, avant de me disputer avec mon père pour des raisons concernant sa santé mentale et je suis à présent sans le sous, sans travail, sans logis, dans la rue, à la recherche d'un travail intéressant et constructif sur le plan intellectuel. Si vous ne me voulez pas, pas de problème, je sors, je repars dans les rues à la recherche d'autre chose. C'est comme ça ma vie actuelle ! Mais j'ai encore mon honneur, professeur.
- Vous me plaisez décidément jeune homme. Je vous offre logement, cuisine, sanitaire et blanchisserie ainsi qu'une somme substantielle que nous déciderons plus tard. Je vous offre également une voiture de fonction et la possibilité d'achever vos études auprès du professeur Dexter et de moi-même, à l'Université. A cette seule et unique condition : vous appartenez désormais à ma maison, vous y serez mon second, mon assistant et mon aide pour toutes mes démarches. Vous dormez ici toutes les nuits, vous ne quittez pas la demeure de la nuit. Vous dormez dans un chambre contiguë à la mienne et vous manifestez de l'intérêt pour vos études. Vous ne me dérangez sous aucun prétexte durant mes recherches en laboratoire, vous ne faites pas de bruit intempestif et vous n'introduisez personne d'étranger ici, pas même une conquête de passage !
- Seule et unique condition, hein ?
- Et c'est ?
- C'est d'accord bien sur.
*****
Nick n'en croyait pas ses oreilles. Il venait de se faire accepter avec une facilité qu'il n'aurait jamais imaginée un seul instant. Il venait de prendre du galon en un rien de temps et en quantité à juger par les conditions d'embauche. Le jour même, il s'installa dans la maison du Clos des Quais, Providence. Il aménagea rapidement sa chambre ainsi que la pièce qui lui servirait plus tard de bureau.
*****
Comme le garçon allait le découvrir rapidement, la demeure de DuPane était loin d'être aussi réduite qu'elle n'en avait l'air. Cinq pièces au rez-de-chaussée : la bibliothèque qui servait de bureau au professeur, la véranda qui n'était guère utilisée sauf pour d'éventuelles réceptions, la cuisine et son étendue en verre détrempé, le salon, élégant, cosy et assez raffiné pour tout dire et enfin une vaste salle de lecture agrémentée d'un cabinet de consultation et d'une table de recherches géographiques. Au premier niveau, Nick avait compté trois chambres spacieuses et reliées les unes aux autres, deux salles de bain et un dressing assez vaste. C'est au second que l'étrangeté fit place à l'amusement : deux chambres assez vastes à en juger par l'espacement des portes étaient hermétiquement closes depuis la maison. Il était impossible à Nick d'y pénétrer pour quelque raison que ce fut. DuPane avait été d'ailleurs très strict sur ce point !
****
Les travaux de Nick étaient simples à respecter : entretenir les dossiers, s'occuper du bureau, recevoir les invités du maître, servir lors des repas qu'organisait DuPane, ouvrir et classer les courriers. Durant ses samedis de liberté, il lui fallait encore s'instruire auprès du professeur Ambrose Dexter. Celui-ci se rendait à domicile, si l'on peut dire. C'est DuPane qui avait organisé ainsi la vie du jeune homme, régentant et dominant chaque instant, chaque souffle, chaque moment même d'intimité. Il arrivait même que DuPane vienne réveiller le jeune homme durant les nuits pour lui faire écrire de terribles lettres enflammées à diverses personnalités du monde entier.
*****
Nick se sentait devenir autre, comme plus adulte, plus important. Il devait reconnaître qu'il était fortement fatigué, mais le dimanche lui était entièrement réservé. DuPane le réveillait à dix heures trente précises et lui servait un copieux déjeuner au lit. Ensuite, il pouvait bénéficier de la salle de bain luxueuse ainsi que de la véranda ou du jardin durant toute l'après-midi. Un plaisir infime de relaxation pour une semaine de vie trépidante et éreintante.
*****
- La vie ne vous semble pas monotone ici, lui demanda, un samedi, le vieux Dexter.
- Non, professeur. C'est incroyable ce que l'on peut apprendre avec le professeur DuPane. C'est un maître en cartographie, en géographie et même en sciences appliquées. Ses recherches ethnologiques l'ont conduit à bien des endroits étranges de la planète. Il m'a raconté qu'il s'était même autrefois rendu sur le plateau de Leng où subsistait une tribu étrange et primitive consacrée à la vie nomade et écologiste.
- Peut-être. Restez tout de même sur vos gardes. J'ai connu Tyler bien avant vous, je fus son professeur avant d'être le vôtre pour la première fois. Mais déjà dans ses jeunes années, il manifestait une joie étrange pour toutes les fariboles absurdes concernant les croyances modernes et anti-mécaniques. Il est resté sensiblement étranger aux progrès réels de la science.
- Mais c'est un grand savant ! Rendez-vous compte qu'il connaît quasiment parfaitement les débuts des mythes pré-colombiens pour les territoires de La Barbade à Saint Domingue !
- Certes, certes, mon petit ami. Je n'en disconviens pas ! Sur quoi travaille-t-il donc pour l'instant ?
- Il est occupé sur un dossier concernant un navire disparu sur les quais de Providence il y a plus de trois cent ans. Le Priesterall, je pense ... mais c'est surtout ses propres affaires. Il n'est plus que plongé dans ses livres et ses cartes pour l'instant.
- Alors il recherche le Prestar'hal ... c'est un navire de bas tonnage. Il était originaire de Providence, de la compagnie des thés orientaux détenue par la famille de Tyler. Il le recherche donc encore ! Quelle sottise !
- Pourquoi donc serait-ce une sottise, fit soudain DuPane dans le dos du professeur. Bien sur que je le recherche ... et avidement encore ! Il est ici, je le sais. Il a coulé sur les quais familiaux, j'ai retrouvé sa trace dans les journaux de mon arrière-grand-père ... il me suffit dès lors de fouiller sous les combles des caves de cette maudite rue ... mais il me faudrait pour cela obtenir les accords nécessaires pour commencer sous la maison de mes parents.
- Vous avez donc pu l'acheter. Je croyais que Bowelles refusait de vous la céder.
- Hé bien, sachez que c'est chose faite depuis quatre jours. Il a fini par céder devant mes arguments ... ce qui était, somme toute, bien normal. Il est normal qu'un homme de mon influence reprenne ce qui lui appartient ...
- Mais ... et Bowelles ... qu'est-il devenu ?
- Il est parti, simplement. Il a quitté Providence pour ne jamais y revenir ... en tous les cas, j'espère !
*****
Après cette mauvaise passe entre les deux anciens professeurs, le climat se fit plus tendu et plus instable. Ambrose Dexter se montra moins souvent chez DuPane si ce n'est pour apprendre au jeune Fallow de nouvelles connaissances. Il serait difficile de donner une idée précise de ce qu'il se passa ensuite dans la maison du Clos des Quais. Mais des années plus tard, près de quarante années pour dire vrai, dans un demeure luxueuse de Los Angeles, après la mort d'un grand réalisateur, on retrouva un journal qui donnait des informations essentielles sur les évènements des quatre derniers jours.
****
Extrait du journal intime de Nick Fallow
****
Je dois bien avouer consciencieusement et après coup que je n'avais jamais prêté grande attention à la raison des recherches de DuPane, de la même manière que ses actes aussi violents soient-ils ne m'avaient jamais vraiment choqué. J'étais convaincu depuis toujours qu'un chercheur devait, pour arriver à ses fins, employer toutes les cordes mises à son service. De fait, j'avais déjà pu voir DuPane s'emporter avec véhémence contre Bowelles, sorte de vieil original déplumé mais conservant suffisamment de pesante monnaie pour éradiquer le pouvoir de DuPane dans cette partie de Providence. C'était sans doute sans compter sur la férocité et sur l'engagement certain du professeur dans toutes ses démarches.
****
Après l'échange de paroles acerbes entre DuPane et Dexter, je vis moins le vieux professeur dans notre maison qui me parut progressivement plus vide et plus triste. DuPane lui-même semblait s'enfoncer dans cette grisaille lamentable. Je m'occupais pourtant bien de lui, le soutenant dans toutes ses pistes aussi démentes soient-elles. Au bout d'un mois, il obtint de l'Administration l'autorisation de commencer des fouilles sous sa propre maison et sous ses possessions du Clos des Quais, soit, comme je dus bien m'en apercevoir, près de cinq maisons reliant la nôtre à la maison de naissance du professeur.
****
Les recherches le tenaient souvent éloignés de la maison durant des heures si longues que je ne savais que faire d'autre que de réviser mes matières en vue d'un examen prochain. Un jour, quatre jours après l'accord de principe des autorités pour fouiller les maisons, je reçus trois visites si étranges que je me demande encore aujourd'hui si cela n'avait été prémédité par d'autres forces bien plus importantes que ma simple personne ne peut l'imaginer.
*****
Le premier à se présenter fut un homme sec et émacié, portant vêtements coûteux mais de marque étrangère. Il avait la peau sombre et le teint bistre. Ses yeux aussi perçants que ne l'étaient ses manières me surveillaient avec insistance. Il me dit son nom (j'ai du l'oublier car je ne parviens pas à m'en souvenir convenablement ... un nom étranger je suppose ... que j'ai du mal comprendre) et me demanda à l'introduire auprès de DuPane. Le professeur était à sa table de travail dans sa bibliothèque lorsque je lui présentai l'individu. DuPane le connaissait déjà sans aucun doute. Il se leva et le salua avec une déférence énorme pour l'apparence somme toute habituelle du visiteur. DuPane me dit que je pouvais sortir et m'invita à préparer un repas convenable pour lui et son hôte. L'homme resta avec nous toute cette journée.
****
Le second fut une jeune garçon, quinze - seize ans, qui me dit avoir rendez-vous avec DuPane lui-même. Il portait un ensemble en lin, blanc et quasi-transparent. Avec ses gestes délicats et ses airs efféminés, je me demandai immédiatement si, effectivement, j'avais déjà-vu une conquête de DuPane lui-même. Je dus me résoudre à bien admettre que non et priai pour que les goûts de mon maître ne fussent moi ! J'introduisis le jeune homme dans le bureau et retournai à mes affaires. Je commençais à me demander si les affaires du professeur n'étaient pas en train de lui tourner dans la tête lorsque le carillon d'entrée retentit encore une fois.
****
La troisième entrée fut à ce point extraordinaire que je mis au moins trois jours à m'en remettre. Lorsque j'ouvris la porte pour la troisième fois, ce fut pour découvrir un homme grand, sec et dépenaillé. Il était vêtu d'une manière que je ne saurais décrire que comme incroyable : des frusques d'un autre temps, assemblées avec un véritable mauvais goût, et élimés comme si ils avaient été portés par trois générations de clochards ! J'en étais encore à me rendre compte de son état quand il prit la parole.
***
- Es-tu Tyler DuPane, me demanda-t-il.
- Je ... non, je suis son apprenti et son homme de main, Nick Fallow. Le maître est dans son bureau.
- C'est donc ainsi. Mène-moi à ton maître immédiatement.
- Je doute qu'il accepte de vous recevoir, Monsieur ... Monsieur ?
- Peu importe, mène-moi à lui, je te jure qu'il ne t'en voudra pas de l'avoir fait !
- Je me demande ce qui me pousserait à agir ainsi, dis-je plus pour moi-même que pour l'autre. Enfin, venez, suivez-moi.
***
J'avais à peine ouvert les portes du bureau après avoir entendu l'accord de DuPane que le professeur se figeait dans une fureur noire. Pas une fureur tournée vers moi, mais clairement vers l'inconnu. Dans un coin de la pièce, le jeune homme que j'avais conduit quelques temps plus tôt était assis à une table, un livre ouvert devant lui tandis que l'étranger lui faisait face et coulait des regards froids et noirs au nouvel arrivant.
***
- Sortez, fit DuPane, sifflant plus que ne parlant. Ne vous mêlez pas de choses que vous ne pourriez pas comprendre, vieillard décati ! Vous ne pourrez vous mettre en travers de nos recherches une fois de plus. Nous touchons au but !
- Vous n'êtes pas en état de m'interdire quoi que ce soit, misérable. Vous avez renié l'état même de votre race ! C'est à toi que je m'adresse, dit le vieillard en se tournant vers l'étranger au tain bistre. Toi, leur serviteur, leur esclave malhonnête et monstrueux, toi qui crie au ciel dans l'affreuse lueur rouge ! Tu n'es pas en état de me tenir tête ... repends-toi DuPane avant qu'il ne soit trop tard. Cache-toi de tes erreurs qui furent celles de ta maudite famille !
- Maudite famille, éructa DuPane ... Maudite famille ? Malheureux vieillard ! Vous ne pourrez rien contre moi lorsque j'aurai retrouvé le Prestar'hal ... et ceci ne saurait tarder !
- Je reviendrai, DuPane ... je serai là avant que l'impensable ne se produise. Te voici prévenu ! Quant à toi, serviteur des mauvais enfants de la nuit, tiens-toi coi ou prépare-toi !
***
Lorsque le vieux s'en fut reparti, DuPane me demanda de bien fermer la porte et de vérifier que la maison était sécurisée. Ensuite, je dressai la table pour eux trois. DuPane me permit de me retirer dans mes appartements. C'est avec frisson et froideur que je m'enfermai dans la chambre qui m'avait été désignée.
***
Au milieu de la nuit, des cris affreux se firent entendre au-dessus de mon étage. Le grenier de la maison tremblait littéralement, vacillant sur ses fondations mêmes. Je ne pouvais retirer mes yeux du plafond qui gondolait et semblait se tordre de véritable douleur. Je hurlai en entendant la voix du jeune garçon que j'avais conduit quelques temps plus tôt auprès de mon maître. Une voix de pure souffrance et de démence. Puis, après un silence lourd de compréhension, j'entendis une autre voix s'élever. Mais celle-là n'avait strictement rien d'humain ! Une voix de pure terreur, une voix d'un autre monde, comme s'élevant d'une caverne suintante et chargée des pires horreurs.
***
Je restai prostré sur le lit, attendant la fin de la nuit qui semblait ne jamais vouloir venir. Le matin enfin, je me levai, ouvris la porte et descendis dans le bureau. Personne n'était en vue dans la maison. J'ouvris d'un coup de tournevis bien placé le premier tiroir du bureau de DuPane. Je savais que le professeur y rangeait toujours une arme ou deux. Saisissant un revolver, je l'armai et revins dans le hall.
***
Avec courage, je remontai les escaliers et me dirigeai droit vers le grenier. Les portes étaient ouvertes, sans que j'y vis âme qui vive. J'entrai dans la première pièce et me retrouvai perdu dans une brume infinie, s'éloignant et revenant sans cesse vers de plus sombres confins grêlés d'horreur pure. Au centre même d'une masse nuageuse effrayante et quasiment inexplicable se tenait un être abominable issu des pires cauchemars de l'humanité.
***
Dans un coin crasseux et soumis à des lois géométriques que je me refuse encore à admettre se tenait le cadavre exsangue et dépecé d'un être humain, horriblement mâchouillé et broyé par des dents voraces et carnivores. Je compris à sa grandeur et à sa jeunesse qu'il s'agissait du jeune homme que j'avais conduit hier à DuPane. Sans aucun doute un jeune gigolo de première heure qui venait de finir entre les mâchoires craquelées de ce monstre sans âme et sans âge qui se tenait tapis dans les moindres coins de ce sinistre grenier. Une longue litanie déroulait ses airs sombres et lugubres dans les airs de cette pièce qui n'en était plus une. Je me trouvais à des milles de là, dans un endroit aux confins mêmes du monde connu ! Ou même inconnu !
****
Je descendis les marches quatre à quatre sans prendre le temps de jeter un regard derrière moi, sans prendre conscience de l'horrible et brumeuse créature qui étendait déjà vers moi ses tentacules de fumée. Dans le hall, je me dirigeai vers la porte de la cave. Celle-ci semblait se déformer, se gondoler littéralement et changer de couleurs en même temps. Je braquai le revolver sur le battant et fis feu ! La porte s'ouvrit dans un craquement épouvantable. Les marches s'étiraient vers des profondeurs instables et enfumées.
***
Je me savais décidé à en finir avec ce monstre. DuPane n'était pas ou plus un humain pour ainsi dire. Il avait signé un véritable pacte avec Le Malin. Des litanies affreuses sortaient de dessous la terre et s'enroulaient dans les piliers à moitié effondrés de cette cave empuantie. Les marches descendaient encore plus dans les tréfonds de la terre sans vouloir prendre fin. Soudain, je me retrouvai dans une pièce immense, taillée à même la roche, s'élevant comme une caverne antédiluvienne au centre de laquelle était incrusté à jamais un navire de l'ancienne époque !
***
Le vieux brick s'était bel et bien enfoncé dans la vase de la rade du port de Providence près de 150 ans plus tôt. Mais malgré le temps passé sous l'eau et les sédiments, il paraissait nettement conservé. Je me doutais assez bien que je ne pouvais me trouver sous la maison de DuPane mais plus vraisemblablement sous toutes les maisons achetées par le professeur. Nous nous trouvions tellement bas que les ondes telluriques se ressentaient ici avec violence et distinction. Une caverne monstrueuse de par sa taille et ses dimensions géométriques aux angles étranges et aux formes abominables.
***
Près du bateau se tenaient DuPane, nu et tatoué de la tête aux pieds et une créature aussi difforme qu'impossible à décrire. Juché sur quatre pattes colossales et ayant pour tête un long tentacule rouge aveugle, la bête hurlait vers les profondeurs d'un ciel caché par les mètres de terre au-dessus de nos têtes. La folie devait m'être familière car à ce moment précis, j'eus l'impression que le bateau s'élevait lentement de la gangue de boue et de vase qui le retenait prisonnier. Un hurlement de triomphe, de joie et de gloire retentit dans la poitrine de DuPane qui éructa. Le bateau s'illumina de l'intérieur et une amas de globes iridescents commença à s'extirper de la calle.
***
Le sol se mit à trembler comme sous la marche d'un être titanesque, un être de pur cauchemar venant d'un lieu reculé de l'univers abstrait. Je sentais ma raison vaciller sous les coups répétitifs tant et si bien que je me sentais à deux doigts de m'évanouir. Le vaisseau d'un autre âge s'éleva lentement vers la voûte de la grotte souterraine lorsqu'un éclair vint le frapper en plain centre. Il s'embrasa comme de l'étoupe et s'effondra sur DuPane trop occupé à hurler sa joie pour se rendre compte de sa fin proche. Son corps explosa, lacéré même par les tentacules de feu de la créature qui achevait ainsi de mourir hors de son abîme infini, arraché à sa vie terrestre pour retourner dans ses sombres abysses d'ébène.
***
L'autre créature se tourna vers l'origine de l'éclair et hurla sa rage dans une langue que je ne compris pas. Venant des marches que j'avais moi-même suivies, je vis le vieil homme de la veille habillé de parures créées par la nature elle-même s'avancer sur un char tiré par d'étranges et faméliques créatures ailées.
****
Sa voix était sombre et oppressante et me paraissait familière bien que je ne l'ai vu qu'une fois et qu'il ne m'ait presque pas parler. C'était pourtant la voix de la raison, de la vérité et de la justice.
***
" Nyarlathotep, fit-il en fixant le monstre de la caverne. Je t'avais prévenu. Je t'avais dit mon courroux et j'avais sollicité ton intelligence. Mais les siècles passés dans la peau d'un humain ne t'ont pas servi, faux messager. Ta peine sera aussi lourde que ta corruption millénaire. Elle sera à la hauteur de ta vanité. "
***
Alors que la bête se ruait littéralement sur lui, le vieux prophète hurla dans une langue inconnue et le sol s'ouvrit sous les membres charnus de l'animal qui s'y enfonça en bouillonnant. Ce fut sans aucun doute à cet instant que je m'évanouis pour de bon.
***
Lorsque je me réveillai, j'étais étendu sur le perron d'une maison faisant face au Clos des Quais. De cette ancienne rue maudite, il ne restait plus guère que des ruines, un éboulement souterrain ayant fini par détruire toutes les maisons du début de la rangée de droite. DuPane, son monstre et ses demeures figées dans le temps avaient fini par faire le grand saut pour rejoindre leur éternel créateur.
***
Je songeai à cet instant à ce vieux fou de Lovecraft et me demandai finalement si la folie ou la raison n'était pas de prime abord un sentiment semblable. Mais fou ou non, ce qu'il avait inventé est là, parmi nous, cherchant la porte pour revenir, cherchant sans cesse la résurrection de Yog-Sothoth, le monstre informe qui se cache dans les dédales de nos mémoires païennes !
****
Un récit de DorianGray

lundi 17 novembre 2008

Selon que vous serez ...

La vieille était assise devant une table immense couverte d'une nappe d'un blanc doux en dentelle de Bruges. Elle finissait une tasse d'excellent thé vert de chine aromatisé à la bergamote et aux agrumes. Elle reposa sa tasse dans une soucoupe aussi belle que solide et se leva. Elle avait été enseignante autrefois et elle gardait de cette époque l'envie de tout régenter, tant les humains que les meubles de sa maison aussi ordonnée qu'une parade militaire un 14 juillet !
----------
Elle passa au salon et mit en marche un antique gramophone parfaitement lustré. Une musique douce évoquant la campagne et un matin ensoleillé résonna doucement dans la pièce tandis que la vieille choisissait un livre sur un rayonnage. Elle hésita entre plusieurs possibilités et se fixa finalement sur Quatre-Vingt-Treize. Un choix long mais de grande qualité !
-----------
Elle s'assit dans une bergère moelleuse. Pour tout un chacun, elle aurait interprété facilement la vieille grand-mère très maternelle d'une très nombreuse marmaille ! Pour tout le monde sauf pour elle-même. Elle portait la coiffure blonde-grise de l'entre-deux âges, au carré avec pointes à l'anglaise, des lunettes dorées avec chaînette de rétention et était habillée d'un tailleur d'un rose parme prononcé.
-----------
La maison était sobre en soi, bien que la salle à manger soit la copie presque parfaite de la salle d'accueil du Dracula de Stocker : énorme, étouffante, chargée et d'une couleur sombre et dérangeante. La cuisine supportait un aspect purement pratique sans aucune fioriture excessive. Mais il est vrai que Dominique ne faisait jamais la cuisine elle-même, elle avait une bonne pour ce genre de travail. C'est qu'elle n'avait pas été une simple enseignante sans ambition. Elle avait enseigné à l'Université de Nantes autrefois ... avant la mise à la retraite anticipée.
-----------
Elle regrettait ce temps-là, elle aimait tellement faire passer son savoir, enseigner sa grande connaissance, appuyer sa croyance réelle en un monde différent. Mais Aloïs Hildebrand en avait décidé autrement. Après une minable aventure qu'elle avait eue avec un de ses élèves, cette lopette de Directeur lui avait gentiment proposé la retraite.
----------
Mais Antoine s'était occupé de lui. Il lui avait fait comprendre son erreur et Aloïs n'avait pas été long à la rejoindre sur les bancs des jeunes retraités. Tout compte fait, elle aimait son état. Avec l'argent qu'elle avait toujours gagné, elle avait pu s'acheter cette superbe demeure sur les hauteurs de Falaise ainsi que de poursuivre un train de vie intéressant avec une bibliothèque bien fournie.
----------
Ce soir, elle se sentait particulièrement tendue. Elle avait encore reçu une lettre et ne comprenait toujours pas qui avait pu avoir vent de cette histoire. Elle était derrière elle à présent. Mais si cela continuait, il faudrait sans doute qu'elle joigne la Loge. Si cela continuait ...
----------
La pendule du salon sonna dix heures. Dominique se leva, posa son livre sur le bras du fauteuil et se dirigea vers la cuisine. Elle souhaitait se faire rapidement une bonne tasse de café serré. La cuisine s'alluma à son entrée. Elle s'approcha d'une armoire qu'elle connaissait particulièrement bien et en sortit un petit sachet de café soluble ainsi qu'une tasse ébréchée. Elle brancha la bouilloire électrique et attendit en sifflotant un petit air d'opéra.
--------------
L'eau frémit rapidement et Dominique s'en servit une tasse avec satisfaction. L'odeur du café chaud lui faisait frétiller les narines. Elle prit la tasse et rejoignit le salon. Un bruit à l'extérieur attira son attention. Elle s'arrêta, prêta l'oreille et attendit.
-------
Hé bien ma pauvre fille, tu déraisonnes. Qui oserait venir jusqu'ici ? Allez, redeviens sérieuse. Au salon, une tasse et dodo.
---------
Elle revint au salon, s'assit dans son fauteuil et posa la tasse sur un petit guéridon en merisier. Le bruit se fit entendre à nouveau, plus proche cette fois-ci. La maison était pourtant équipée de volets. Partout sauf sur la porte d'entrée. Et elle était certaine d'avoir fermé tous les volets. Elle vida la tasse d'un coup, se brûla au passage et se leva.
--------
Plus le temps d'appeler quelqu'un de la Loge. M'armer et rejoindre mon bureau. Fermer toutes les entrées possibles, voilà ce que je vais faire.
---------
Dominique se dirigea vers son bureau, passant devant le hall dont la porte était toujours belle et bien fermée. Le bureau était une sorte d'immense coffre-fort, fermé par une immense porte blindée et renforcée. Dominique y entra et fit pivoter le panneau central. Après avoir vérifié la fermeture, elle se dirigea vers le bureau lui-même : un énorme secrétaire trônant au milieu de la pièce, posé sur un tapis persan d'un grand luxe. Elle s'assit à son fauteuil pur cuir et fit pivoter un clavier central en-dessous de la table de travail. Appuyant progressivement sur les boutons, elle ferma complètement et hermétiquement toutes les pièces.
----------------
Les volets de l'étage se refermèrent d'un coup et Dominique se sentit tout à coup piégée. Elle avait oublié les fermetures de l'étage et subodorait qu'un étranger avait pu se glisser par là. Heureusement, son bureau était à présent clos. Impossible d'y pénétrer tandis qu'elle possédait elle-même un système d'appel de sécurité directement dans son propre bureau. Elle était donc ici en parfaite sécurité.
-------------
Un bruit léger attira son attention du coté du dernier rayonnage. Elle se leva, saisit une arme dans un tiroir et s'avança vers la double-porte tendue de rideaux sombres. Elle s'approcha à pas de loup, l'oreille aux aguets. D'un coup brutal, elle tira les rideaux et se retrouva devant ... son propre reflet ! Rien d'autre. Puis, aussi soudainement qu'un coup de tonnerre, les lampes s'éteignirent. Dominique se retourna, l'arme au poing. Elle visa à droite, à gauche, à droite, à gauche.
-----------
Un second bruit sec se fit entendre sur son coté droit et elle reçut un coup sur la tête. Elle s'effondra sur le sol.
----------
Alors, Dominique de LaLande ? Vous vous sentez mieux ?
-----
La lumière était de retour et Dominique sentit ses pupilles se rétrécir sous l'effet de la lueur troublante. Elle poussa un petit cri de surprise et se rendit compte qu'elle était ligotée à une chaise devant son bureau derrière lequel se tenait un homme plutôt grand, large d'épaules et tenant dans ses mains une lame longue et particulièrement tranchante. Cette lame, elle la connaissait suffisamment bien. Elle aurait pourtant juré l'avoir balancé au large lors de son voyage en Méditerranée.
------
- Hé bien, ma fille, on ne répond pas ? Vous ne me reconnaissez pas, sans doute ?
- Je ... qui êtes-vous ? Comment êtes-vous entré ici ?
- Ceci n'a pas beaucoup d'importance, vous ne croyez pas ... Ce qui est important, c'est ce que nous allons faire ensemble, ici, ce soir !
- Si vous ne sortez pas immédiatement de chez moi, je vous jure que vous allez amèrement le regretter.
- Vraiment ? C'est une blague ? Vous ne croyez pas sérieusement que j'ai peur de votre "Loge" ... je suis là pour ça, vous savez .... Je vous avais pourtant bien expliqué ce que j'allais faire dans ma lettre, non ? Oh, je vois ! Vous n'y avez pas cru, n'est-ce pas ?
--------
Dominique fixait son agresseur avec hargne. Elle aurait voulu être libre de ses mouvements pour lui faire regretté son geste. Comme s'il la comprenait, l'agresseur se figea, son regard se durcit et il frappa violemment la vieille sur la joue.
-------
- Comment pouvez-vous oser me fixer de la sorte ? Quelle infamie vous pousse à agir de la sorte, monstre femelle ?
- Bientôt, vous ne ferez plus le fanfaron, je peux vous l'assurer. Vous ne savez pas à qui vous avez affaire !
- Au contraire, je vous connais parfaitement. Si c'est à votre ami Antoine du Mesnil-Rochand que vous songez, apaisez votre esprit, il n'est déjà plus de ce monde. Et vous le rejoindrez bientôt, ça je vous le promets.
- Stupide petit imbécile. Vous ne savez rien, rien sur rien. Vous n'êtes rien et je ...
- Oooooh, je sais Madame de LaLande ... selon que vous serez puissant ou misérable ... mais quand Lafontaine écrivit sa fable, nous avions un roi ! Et malgré sa taille et ses airs de sauvage prétentieux, votre ami ne l'est pas encore. Vous voyez ? Je connais bien vos ramifications. Mais aujourd'hui, elles ne vous seront d'aucune aide ... contre moi. Car vous m'avez déjà tué en sacrifiant mon enfant.
-------
Des images s'entrechoquaient dans la tête de l'ancienne enseignante. Elle ne savait plus par où commencer son récit ou son explication. Tout ceci lui semblait parfaitement absurde et comme par moments impossible. Elle regarda l'homme droit dans les yeux et soutint son regard.
-------
- Mesnil est mort, déclara l'agresseur le plus calmement du monde. Je l'ai tué.
- Je ne vous crois pas !
- Il s'était installé depuis trois jours dans sa petite villa de campagne. Il pensait pouvoir y être en sécurité. Bien sur, si même sa femme, votre nièce, en ignorait l'existence, qui pouvait le savoir ? Tout d'abord vous et ensuite les enfants qui y furent amenés. Je l'ai surpris alors qu'il sortait de la douche. Je l'ai cloué sur une table et je lui ai décollé le gland. Il s'est vidé progressivement de son sang et est mort en gargouillant votre nom ... allez savoir pourquoi ? Quoiqu'il en soit, j'ai décidé que le moment était venu et je suis donc revenu vers vous ... l'ancienne Directrice de la Loge de l'Ouest, la monstrueuse mante qui assassinait les enfants des autres au nom d'un idéal impossible. Vous avez cru atteindre Satan, le Diable ou quel que soit le nom que vous lui donnez, mais vous n'avez commis que des erreurs ... vos actions monstrueuses, l'état des cadavres lorsqu'on les retrouvait indique d'une manière ou d'une autre votre degré de folie !
- Vous ne savez rien de nos réalisations ... votre pauvre petit cerveau malade ne peut estimer l'inévitable grandeur, l'incroyable puissance qui émanait de nous à chaque réunion. Vous ne ...
--------
De nouveau, une claque brutale la fit taire. L'homme venait d'agir avec rage et détermination. Le temps que Dominique se remette du coup, l'homme avait sorti un couteau cranté de sa veste. Il déchira les vêtements de la vieille femme, empoigna un de ses seins flasques et commença à le lacérer tout en chantonnant des airs enfantins. Dominique hurla et cracha au visage de l'homme !
-----
- Vous estimez sans doute que vos crimes devraient rester impunis, n'est-ce pas ? Que vos actions sont correctes voire louables et que d'une manière ou d'une autre vos connaissances doivent vous cacher de la réalité judiciaire ? C'est pourquoi je suis là ! C'est pourquoi je reviens vers vous ... Il n'était pas d'accord, Il ne l'a jamais été. Vous n'avez pas interprété Ses paroles, vous n'avez fait qu'assouvir vos fantasmes ... et vous avez fait erreur. Car Lui m'a rendu ma fille !
------------
L'homme lui sourit et continua son travail. La lame parcourut bientôt son visage, laissant des zébrures rouges et des entailles plus ou moins profondes. Puis, avec une précision brutale et une joie mauvaise, l'agresseur perça l'oeil de la vieille prof et lui cloua la tête contre le dossier du fauteuil.
-------
En cet instant où la vie s'écoule, où tout sombre dans le néant, elle la vit. La seule qui avait pu savoir tout sur tout et qui avait pu guider son père. Elle, la fille en blanc, massacrée par pur plaisir. Elle avait pourtant pensé l'envoyer en enfer, chez le maître. Comment avait-elle pu se tromper ainsi ?
------
La fillette s'approcha et la fixa droit dans le dernier oeil ouvert. Elle apparaissait belle, terriblement belle. Onze ans pour toujours, les mêmes cheveux blonds pour toujours, le même air candide et les mêmes yeux d'un bleu délavé. La seule et immense différence résidait dans son sourire ... une bouche de requin, de tueur ... Avec un sourire carnassier, elle se pencha sur la vieille femme et, lui déchirant la gorge d'un coup sec de mâchoire, aspira son âme dans un terrible silence. La vieille avait disparu. Pour toujours.
--------
- Merci, fit simplement le père en versant une larme. Merci et remercie-le, Lui aussi !

Un récit de DorianGray

jeudi 13 novembre 2008

L'horreur de nos jours : le mensonge !

On vous parle d'horreur, on vous écrit des récits d'horreur, mais on ne vous dit pas la vérité ! La monstruosité moderne, l'horreur actuelle, ce n'est pas un vampire qui se réveille la nuit pour vous sucer le sang, c'est un axionnaire, c'est un ministrable, c'est un président d'entreprise qui vous suce votre pognon et vous crie qu'il doit le faire, que c'est dans sa nature ... l'horreur actuelle c'est de voir un Roi s'offrir des vacances avec sa bourgeoise en Inde alors que son pays connaît une grave période de récession et une mortalité politique (il y reçoit tout de même un buste de Gandhi ... un paria altruiste trônant sur la cheminée d'un représentant du capitalisme mondial) ! C'est de savoir que cette bande de glands couillonnés reçoit 6% d'augmentation pour lutter contre la récession alors que les pauvres ouvriers et employés doivent se battre chaque jour contre un patronat sans cesse déstructurant et assassin ! L'horreur actuelle, c'est quand en pleine crise économique, un homme d'un parti libéral belge se targue de vouloir devenir PREMIER ... premier des Belges, premier Wallon, premier parti ... premier en tout, vouloir raffermir son autorité en supprimant les provinces, en supprimant les écoles qui ne pensent pas comme lui ... et il nous parle de clientélisme alors que le bureau de Pierre Hazette a du être jugé et démis de ses fonctions pour accusation de clientélisme ! L'horreur c'est d'entendre que les monstrueux responsables d'une ancienne banque dont le nom commence par DEX et se termine par IA se tirent après une bourde monumentale en emportant un pactole digne de Crésus ... et d'entendre avec peine l'ignoble abruti dirigeant le FEB se gausser qu'il est normal que ces pauvres gens se sauvent financièrement car la crise frappe !!! Voilà l'horreur moderne, voilà la vraie face de la haine et du mal ! Le mal c'est aussi de sacrifier un peuple en voulant discuter ... merci monsieur Louis Michel de tant vous occuper de l'avenir des malheureux Congolais en disant que ce n'est pas bien de la part d'Nkunda de chercher le pouvoir !!!! Y a un os là !
****
Une chronique de DarkCreature

mardi 11 novembre 2008

Petite Marie

La fille attendait sur les marches de cette petite église de village, sur la colline. Il l'avait déjà vue là auparavant. Des jambes minces et longues, serrées dans un trois-quart bleu sombre très moulant, des fesses rebondies et rondes sous un dos légèrement cambré. Il avait aimé sa blouse blanche largement décolletée tant sur le devant que sur l'arrière, offrant une vue plongeante sur ses petits seins et sur sa peau dorée, cuivrée par le soleil. Il en avait eu envie au premier regard.
--------------
Envie de la dévêtir, de l'asseoir sur ses genoux, de lui enfoncer n'importe quel objet dans le vagin dans l'espoir de saisir toute son âme humaine. Il avait eu la furieuse envie de la violer, de l'enculer jusqu'à plus soif. Il se sentait fort, il se sentait homme à cette seule pensée. Il la voyait petite fille malicieuse, bien garnie et surtout prête à l'emploi. Il rêvait de humer ses beaux cheveux châtain longs, clairs et lisses, soyeux et enivrants. Il rêvait de caresser ce visage angélique, ce corps souple et mince ... peut-être un peu trop. Mais c'était normal à son âge !
------------------
Il lui aurait donné treize ou quatorze ans maximum. Pour lui, l'âge idéal ! Il regardait encore sous l'échancrure de sa blouse la naissance avancée de deux beaux seins et les aréoles sombres pointant sous le tissu blanc nacré. Il pouvait sentir son excitation poindre et une douce plénitude s'établir pendant de longs instants dans son bas-ventre.
--------------------------------
Il faisait chaud et les arbres bordant l'allée de l'église procuraient ombre et fraîcheur à Marie. Bien loin d'être la gamine facile et outrancière pensée par l'homme, elle était surtout une gamine de son époque : elle voulait s'amuser, plaire, être aimée et surtout sortir avec un beau mec plus âgé. Pas grand chose de passionnant, mais des plaisirs simples et rapides ! Elle aimait d'elle l'idée d'être aimée, surtout.
------------------------
Elle s'allongea sur la pierre bleue et sourit. Il allait venir ! Elle l'avait rencontré à la fête du village voisin. Rien d'exceptionnel : quatre énormes tables pouvant accueillir 60 personnes chacune, un orchestre de vieux et de la bière à flots. Mais lui était là, hâlé, grand, fort et terriblement beau. Il ne parlait pas comme les autres garçons de son école, il n'était pas grossier ni vulgaire et il avait l'air vachement plus friqué que les autres aussi. Il lui avait plu tout de suite et cela avait semblé réciproque.
-----------------------
Malheureusement, elle ne savait pas grand chose de plus : il s'appelait Romain, habitait en France, était en vacances chez un cousin et avait tout juste seize ans. En somme, un superbe amour de vacances pour Marie. Son premier pour cet été !
--------------------
Le temps était chaud et sec, une chance. Elle pouvait mettre toutes les cartes de son coté en exhibant ses petits tops tout mimi et ses pantalons taille basse hyper-serrant. Et puis, dans deux semaines, elle s'en irait rejoindre Andréa en Floride. Un mois de juillet de pur bonheur.
-------------------
Elle s'étira sur la pierre de soupira. Encore vingt minutes à attendre. De l'autre coté du bosquet, il l'épiait à nouveau. Il avait ressenti le même plaisir il y a quatre mois alors qu'il était de passage dans ce petit village. Celle-ci serait donc la deuxième et ensuite il disparaîtrait pour toujours de cet endroit ... c'est ainsi que cela marchait ...
-----------------
Après quelques minutes d'attente, il vit venir un scooter depuis le bas du village. Un jeune homme mince et long, habillé comme un manche, slalomant entre les arbres, s'approchait, la mine heureuse, le visage rieur et l'attitude fière et dominatrice. Lorsqu'il se gara, il vit la fille se tortiller vers lui comme une pute bat du cul sur le passage d'un cureton. Il aurait tellement voulu lui serrer ses fesses entre ses poignes dures, lui balayer le cul de son membre viril. Mais il devait encore attendre. La fille et le garçon se couchèrent sur les marches de l'église et commencèrent à s'embrasser, à se caresser. Tout ce déploiement de tendresse l'excitait d'autant plus ! Il se mit à se masser l'entre-jambe tout en fixant la petite salope de ses yeux porcins et embués.
-------------------
Romain continuait d'entreprendre la fille avec insistance. Sa main moite remonta sur sa blouse, écarta le tissu et fit ressortir un petit sein à l'aréole chaude et bronzée. Il lui titilla le bout et le mit complètement à nu. Marie n'avait pas l'air de se rendre compte de sa position plus d'indécente. Elle ne prenait pas conscience de sa chair exposée aux yeux des passants éventuels. Le garçon fit courir son autre main sur le décolleté, l'ouvrit plus grand et fit ressortir le deuxième sein mutin. Ses lèvres se posèrent avec insistance sur le cou de la jeune fille, mordillant, léchant, aspirant, suçant.
----------------------
Bien qu'encore fort jeune, la fille n'en ressentait pas moins un énorme plaisir. Elle éprouvait la terrible envie de se laisser faire, d'exhiber devant tous son corps nu. La main de Romain descendit lentement vers son ventre, puis sa taille, ses reins. Le garçon baissa la braguette du pantalon de Marie et glissa son index et son majeur dans l'ouverture.
---------------------
Marie poussa un soupir bref et inutile et le laissa continuer. Rapidement, elle sentit le tissu glisser et découvrir son sexe mouillé et ouvert légèrement. Les deux doigts du garçon caressèrent les lèvres humides et s'insinuèrent en elle en la masturbant lentement dans un long aller-retour de plus en plus profond.
---------------------
Marie referma ses cuisses autour de la main qui lui procurait pareil plaisir. Elle fit glisser sa propre main jusqu'au niveau de son pubis, déboutonna le pantalon et fit glisser plus largement le tissu de son slip. Le plaisir lui irradiait le bas-ventre avec une telle puissance qu'elle crut défaillir. Elle sentit une lame froide se poser contre sa peau virginale. D'un geste sur et rapide, Romain trancha le slip et libéra le vagin prêt à l'orgasme. Elle poussa quelques cris surannés et un liquide poisseux se répandit dans son entre-jambe.
-----------------------
Elle reprit ses esprits au moment où Romain extrayait son slip de son pantalon et commençait à descendre ce dernier. La tension lui semblait trop forte, les seins nus contre le torse du garçon, le vagin ouvert et dégoulinant, complètement à l'air entre ses cuisses maculées de liquide génital. Elle poussa un dernier cri de pur plaisir et se colla au garçon, ruisselante entre ses bras.
------------
Romain continuait d'ôter le froc de la gamine tant et si bien qu'elle se retrouva bientôt les fesses et le sexe à l'air, assise comme une conne sur les marches de cette même vieille église où on l'avait baptisé treize ans plus tôt.
--------
Au moment où elle relevait la tête pour embrasser son compagnon, Marie sentit une étrange sensation de froid contre sa joue, puis un chiffon glissa et se plaqua sous son nez. Elle tenta de se débattre, de hurler, mais rien ne vint et elle s'endormit bientôt. Sa tête heurta la dalle et les deux hommes l'embarquèrent dans la camionnette.
----------------
La douleur d'une perte de mémoire, des vagues d'odeur doucereuse, des relents de pourriture, tout cela flottait autour d'elle sans qu'elle ne s'en rende bien compte. Elle ne parvenait pas à préciser un point de cette pièce lugubre. En fait de pièce, il s'agissait surtout d'un réduit crasseux où pendaient deux télévisions et autant de fers, chaînes et autres objets d'origine douteuse.
----------------
Elle-même était tenue à des chaînes poisseuses fixées dans le plafond à l'aide d'énormes crochets dégoulinant de matière visqueuse. Certains câbles étaient directement reliés à des parties de son corps : ses seins menus et déchirés à présent par les filins d'acier, ses cuisses autrefois si fermes étaient maintenant transpercées et sa vulve elle-même était tenue écartée par des fils fins et irritants. Marie tenta de bouger, mais ses membres étaient écartelés. Elle tenait presque en lévitation contre un mur froid et humide. Elle ouvrit finalement les yeux en grand.
-----------------
Devant elle, assis sur des rangées de chaises en plastique se tenaient des hommes d'âges différents. Tous nus à l'exception d'un grand gaillard habillé en treillis militaire jusqu'à la taille. Dessous, il ne portait malheureusement rien et Marie était forcée de constater la taille exorbitante de sa verge en pleine érection. A bien y regarder, tous ces hommes étaient en érection. Certains se paluchaient d'ailleurs joyeusement le dindon tout en la fixant d'un air éteint.
---------------------
Elle comprenait qu'elle ne reverrait jamais la lueur du jour et qu'elle venait de se faire bien baiser. Sur le coté, aussi nu que tous les autres hommes et en train de se faire caresser par deux vieux messieurs en sueur se tenait Romain, des éclairs de joie malsaine dans les yeux.
Marie pleurait, mais les sons ne venaient pas. Avec horreur, elle se rendit compte en voulant déglutir que sa langue n'était plus en place. Elle se tortilla et tenta de hurler avec frénésie mais seuls quelques crispations et geignements mesurés se firent entendre. Le géant prit de suite la parole d'une voix sombre et gutturale.
------------------------------------
" Messieurs. Pour votre plus grand plaisir, nous vous offrons aujourd'hui une splendide petite pute de village. Treize ans, jamais servi, peu prude et aussi chaste qu'une salope qui se trémousse dans la vitrine d'un boucher moldave. Nous allons ensemble apprécier la qualité gustative de sa peau et de sa chatte. Je vous offre son corps et sa virginité pour apaiser vos envies de violer vos propres filles, petits saligauds. "
--------------------------------
Marie, les yeux exorbités par la douleur et la folie du moment, poussa un grognement immonde et s'étira, ce qui ne fit que renforcer le plaisir des visiteurs de la soirée. Elle glissa un regard suppliant vers Romain, mais celui-ci était maintenant chevauché par un homme d'âge mur tandis qu'un jeune cadre aux allures de dandy lui suçait laborieusement la queue.
----------------------------------
Le géant s'avança vers la fille tenant dans ses mains gantées ce que Marie reconnut être une bouteille. Mais en dehors de sa forme, rien ne lui semblait normal. Le verre était d'une vague couleur orangée et sifflait avec mille sons différents. Marie s'arracha la gorge et se décrocha la mâchoire à force de tenter de crier. Un flot de sang se répandit sur son ventre plat et sur ses seins naissants et découpés. Un jet d'urine détrempa ses jambes. Avec un sourire aussi dément que perpétuel, il lui enfonça la bouteille chauffée à blanc dans le vagin et hurla de joie.
------------------------
Au terme d'une longue agonie quelques heures plus tard et après plusieurs dizaines de raffinement sadiques dont une éventration finale ayant laissé les hommes présents dans la plus complète béatitude, Marie finit par mourir.
-------------
*****
--------------
Anthony était étendu sur un canapé confortable, dans son loft luxueux situé dans un building de la périphérie bruxelloise. L'ensemble du bâtiment appartenait à une firme flamande spécialisée dans le marché d'importation d'objets luxueux asiatiques et africains. Sa situation enviable lui était franchement due à son travail particulier. Travail qu'il menait pour d'autres particuliers en mal d'aventure débordante !
-------------
Romain était assis sur un transat, à ses cotés, sirotant un verre de whisky irlandais hors d'âge. Il avait moyennement apprécie ce moment de luxure, mais c'était toujours ainsi quand il se la faisait mettre. Il aimait dominer, pas servir de trou. Enfin, la soirée passée, il allait retrouver le traintrain quotidien de sa vie de chauffeur de maître.
---------
- Tu ne trouves pas que ce vieil emplumé de Manuel met du temps à tout nettoyer, demanda Anthony. D'habitude, en deux heures, tout est nickel.
- Faut avouer que tu t'es surpassé ici, tu lui en as fait baver à cette pute !
- Sûr ! 'tain, ces salopes qui se trémoussent malgré leur jeune âge, ça me stimule, ça m'excite ! Il faut que je me les fasse, il faut que je les fasse souffrir. C'est exaltant !
- Peut-être, mais il faut nettoyer tout ensuite et Manuel se fait vieux pour ces conneries. La dernière fois, il m'a avouer que les morceaux de peau avaient été difficiles à décoller des murs !
- Mwouais, en même temps, c'est pour ça qu'il est payé, non ? Et grassement encore ! Tu ferais mieux d'aller voir ce qu'il fout ce vieux pervers !
------------
Romain le savait, une demande d'Anthony était tout sauf une demande, c'était un ordre. Il se leva, passa des sandales et se rendit vers la porte. Prendre l'ascenseur, descendre dans les sous-sols, entrer le code sur le cadran digital et vérifier que Manuel ne pionçait pas quelque part. Tout simplement.
-----------
*****
---------------
Tente minutes passèrent avant qu'un bruit ne se fit entendre dans l'appartement. Anthony lisait une oeuvre du marquis de Sade. Le plus souvent , il se voyait porté pour des auteurs aussi fous que lui ! Sade paraissait même sage comparé un livre d'un petit moustachu qui trônait sur une étagère de sa bibliothèque.
-------------
- Hé bien, Romain, ça y est enfin ? Et Manuel ?
- Ni l'un, ni l'autre ne te répondront, mon ami, fit une voix râpeuse dans son dos. Avant de sacrifier une fillette à la folie destructrice de vos appétits minables, assurez-vous préalablement qu'il ne s'agisse pas d'un vampire, voulez-vous ?
----------
Et avec la rapidité de son état, Marie fut sur Anthony en un rien de temps, lui trancha la gorge et s'abreuva. La dernière image du géant fut celle d'une jeune fille magnifique, ne portant aucune stigmate des violences qu'il lui avait faites et tenant dans sa main gauche - plutôt une serre - les têtes arrachées et exsangues de Manuel et Romain.

Un récit de ThePhantom et DorianGray

dimanche 9 novembre 2008

Le dossier D

Merci à Rémy (Dexter) pour son aide !
--------------
Le vieil homme était confortablement assis dans un fauteuil haut, une bonne pipe au coin de la bouche. Il avait bu son cognac et écoutait à présent son émission culturelle habituelle consacrée aux grands noms de la musique classique. Aujourd'hui, un maître du violon venait d'interpréter un extrait de Mozart avec une aisance et une facilité évidente.
------------
- Et nous venons d'entendre à présent Maître Heinrich Fredericksen, du conservatoire de Berlin. Maître, pouvez-vous nous donner vos impressions quant au prochain spectacle au Philarmonique Orchestra ?
- Bien entendu, il est évident que nous ...
--------
Le vieux se releva d'un coup, le visage cramoisi. Il sentit le feu brûler ses joues et le froid se répandre dans les autres parties de son corps. Sa pipe d'écume tomba et se brisa sur le sol du salon. Un cri, étouffé ... mais un cri bien réel. Le vieux hurla et s'écroula face contre-terre, continuant de crier.
------------
- C'est lui, Florence, lui ... Karl Hans Frankenburg ... Karl Hans Frankenburg ... Mauthausen ... Mauthausen ... c'est lui ... c'est sa voix ... lui ... luiiiiiiiiiii !
----------
*****
-----------
Il entra dans le petit café anversois quelques minutes après dix-sept heures. Le froid tombait rapidement sur la ville. Il était heureux de pouvoir s'offrir un bon café chaud et sans doute un petit cognac avant de songer à rentrer à l'hôtel. Son enquête venait de se terminer dans un luxe de détails scabreux et lui avait donc laissé un arrière-goût affreux en bouche. Il avait envie de se changer les idées rapidement. La taverne était tapissée de teintes rouge et ocre et possédait une jolie collection de tableaux d'artistes autodidactes.
-----------
Après avoir passé commande, l'homme s'installa plus confortablement et prit la carte des consommations en mains. Peut-être allait-il commander une crêpe ou une gaufre chaude en plus de son café ? Il parcourut la salle des yeux et fixa son regard sur un touriste assis face à lui. Touriste, il l'était pour sur ! Son costume impeccable possédait une coupe italienne qui n'était pas l'habitude dans ce quartier de la ville. En outre, il affichait une prestance mi-sobre, mi-élégante que l'on se plairait plutôt à afficher dans des grandes villes méditerranéennes.
---------
Il fut étonné de voir l'homme le fixer avec une attention presque amusée. Sur cet entrefaite, le garçon apporta au policier sa commande. Le flic en profita pour se décider à goûter une crêpe à la crème. Lorsque le serveur s'en fut à nouveau, il remarqua l'absence de l'autre, en face, l'étranger, le touriste ...
---------
- Hé bien, inspecteur Hooskens. Encore occupé à me chercher, fit simplement le disparu. Ne vous tracassez donc pas aussi inutilement, inspecteur. Nous nous croiserons à nouveau très bientôt ... et si j'étais vous, je sortirais rapidement de cet endroit.
--------
L'interpelé se retourna d'un coup et se trouva face à face avec Lui ! Il le savait, c'était son homme ! C'était Lui. Quel odieux culot de se planter ainsi devant le chasseur ... à moins que le chasseur ne soit pas celui que l'on pense.
-------
Venant de la cuisine, un cri horrible retentit. Hooskens se leva et empoigna l'autre avec autant de facilité que s'il n'avait rien pesé. Certains clients s'étaient déjà portés en avant lorsque l'explosion étourdit tout le monde. Tout le monde sauf Lui bien sur. Et avant même qu'Hooskens s'en rende compte, l'autre avait disparu, laissant derrière lui un café en feu, un patron carbonisé et un inspecteur d'Europol aussi perdu que dix troupeaux de yacks au milieu du désert gobien ! Télékinésie, préparation programmée, meurtre sophistiqué, Hooskens n'en avait aucune idée, mais l'idée que ce homme n'en était pas vraiment un le torturait depuis déjà quelques temps.
--------
*****
-----------
Le noir total des sous-sols de la cité contrastaient avec les murs blancs et ivoire des bureaux d'Interpol. Il était heureux de pouvoir quitter son antre domanial pour déguster un excellent verre dans le centre-ville. Il sortit du métro et laissa la basilique dans son dos. La ville était calme, trop calme. Ce n'était pas habituel ; il connaissait pourtant l'effervescence idoine de cette cité millénaire, ancienne capitale des Gaules. Il continua, longeant les quais de Saône. Le soleil brillait agréablement et réchauffait ce début de matinée de mars.
----------
Après la froide ambiance des bureaux du quai Charles de Gaulle, les quais du centre-ville lui rendaient cet aspect chaleureux et accueillant que Lyon lui avait donné lors de sa première visite, dix années auparavant.
--------------
Il se dirigea aisément dans le dédale incroyable de l'île pour terminer sa course sur la place Bellecour. Grande, spacieuse, vaillante, fière et d'une ombrageuse beauté, elle était surplombée du regard évocateur d'un Louis XIV pédant et chevaleresque. Marc se moquait bien de cette vieille ganache, mais s'intéressait par contre plutôt aux passants, jeunes et moins jeunes, qui déambulaient ici d'un pas léger. Il avisa le café désigné et s'y rendit.
------------
Le zinc était d'une belle couleur verte design avec des lampes inversées d'un jaune ocre pendant d'un plafond lambrissé. Au fond du café trônait un énorme miroir, rendant trais pour trais les lignes longues et courbes du bar, avec ses milliers de couleurs chaudes et uniques en leur genre. Marc aimait cet endroit presque autant que la ville. On s'y sentait bien, à l'aise comme chez soi, avec cette ambiance proche des seventies. Il avisa une petite table argentée garnie d'un porte-cartes en métal galvanisé et d'une lampe new-âge. L'homme l'attendait : grand, sombre, guindé, trop enserré dans son imperméable gris foncé.
------------
Marc s'amusa de voir combien son partenaire avait l'aspect de son job : un flic. Il s'avança, lui fit un signe de tête et s'assit. Il regarda bien l'autre dans les yeux et comprit que celui-ci ne semblait pas prêt de parler d'autre chose que de boulot. Triste matinée tout compte fait.
-----------
- Bonjour, fit simplement l'inspecteur Hooskens. Un verre de Saint Joseph ?Ah ben, non, sympa comme type, cet inspecteur d'Europol.
- Bien volontiers. J'ai toujours affiché un faible pour le bon vin ! Et surtout par ce temps radieux.
- Hé bien, fallait le dire en arrivant. Garçon, une bouteille de cet excellent Saint Joseph que vous m'avez servi tout à l'heure.
- Vous avez trouvé facilement ?
- Bien sur, vos indications étaient très claires. Je suis peut-être du nord, mais j'apprécie la chaleur du sud, vous savez.
- Hé bien, c'est toujours plus agréable et moins protocolaire que de se rencontrer à la cafet' du bloc. Ça la joue moins mortuaire des temps modernes !
- Je ne vous comprends que trop bien. D'autant plus que le dossier qui nous concerne est loin d'être protocolaire. Vous en convenez ?
- Pour sur. Si votre demande ne m'avait été présentée par le Directeur des Bureaux de la Sûreté, je dois bien avouer que je n'y aurais jamais cru. Encore maintenant, j'ai l'impression de pourchasser Mathusalem.
- Oh, peut-être même pire. J'ai apporté ici une copie du dossier. Vous pourrez jeter un coup d'œil tout à l'heure. Si vous nous trouvez un endroit agréable et isolé.
- Pas de problème, le patron de cette gargote est un ami et je dispose toujours d'un studio privé au premier. Comme tous les scientifiques de ma section par ailleurs. Nous y serons à l'aise. Je ne savais pas que vous aimiez le vin, mais à tout prendre, j'avais fait mettre un Châteauneuf à décanter.
- Quelle maison ?
- Charles Bonvin. Cuvée de Mon Père, vous connaissez ?
- Choix judicieux et ô combien gustatif. Je vois que vos goûts ne m'ont pas été trahis ni déformés.
- C'est plaisir que de discuter avec si brillant connaisseur. Mais je pense que vous serez heureux si nous revenons sur le sujet de notre rencontre : ce fameux dossier D !
- Mwoui, mais après notre verre. Lorsque nous serons dans ce petit studio, nous aurons tout le temps d'en discuter.
----------
Le studio en question était surtout un large salon possédant une petite table d'appoint en merisier et deux superbes fauteuils en cuir italien. Les deux hommes s'assirent et se préparèrent à dîner copieusement. Hooskens posa un ensemble de documents sur un coin de la table et les fit passer à Marc. Ce dernier jeta un regard mi-intéressé, mi-amusé sur les feuilles et ensuite les reposa sur la table et s'enfonça dans le dossier haut du sofa.
------------
- Ainsi, vous pensez vraiment qu'il s'agit d'un seul et même homme ? Vous êtes sérieux ?
- Plus sérieux que je ne l'ai jamais été ! Je peux vous assurer que cet homme est le même. Si vous regardez à la page quatre du dossier, vous pourrez voir le compte-rendu d'un survivant de l'explosion de la Montagne Pelée. Cela s'est passé le huit mai mille neuf cent deux. Lisez donc le récit de ce Compère-Léandre et prenez surtout attention à la description de la personne étrangère, survenue avec le Contador le matin du trois mai. Vous prendrez ensuite la page quatre-vingt sept du même dossier et vous lirez la description du capitaine du Princess Augusta. Lisez, je vous assure, nous en discuterons après.
------------
Marc se mit à parcourir les feuillets. Léon Compère-Léandre avait été cordonnier à Saint-Pierre de la Martinique, il était l'un des trois survivants de l'écoulement du volcan en mai mille neuf cent deux. Il donnait des informations plus ou moins précises selon le moment de la journée, mais il ajoutait avoir aperçu un homme étrange dans le port de la capitale le matin du trois. La corvette Contador originaire d'Espagne avant débarqué un homme grand, mince, basané, portant costume et chose bien précise pour un traitement aussi large : il avait des yeux d'une couleur étrange, presque or selon Compère-Léandre. L'homme était descendu et selon le cordonnier avait demandé à plusieurs métèques à être conduit sur les flancs de la Montagne Pelée. La suite se perdait dans les discours de fuite pour sauver sa peau. Il n'y était plus fait mention nulle part autre.
------------
Les témoignages concernant le naufrage de la Princess Augusta devait aussi être tenu avec des pincettes. Marc savait parfaitement le nombre de légendes courant sur le compte de ce vaisseau sombré au large de New York le vingt-sept septembre mille sept cent trente-huit. Il fallait se méfier des dires des survivants autant que des îliens qui les avaient recueillis. Toutefois, le récit d'un pasteur allemand le surprit. Selon lui, un homme issu d'une congrégation étrange s'était mêlé au groupe au départ de Rotterdam. Il s'agissait d'un homme mince, grand (plus que la moitié des hommes présents), assez beau selon le vieux prêcheur et portant une caractéristique étrange : ses yeux avaient une couleur peu habituelle, d'un jaune presque or.
-----------
- Alors ? Qu'en pensez-vous ?- C'est étrange, certes, mais cela pourrait être simplement un fait du hasard.
- L'aurait bon dos le hasard. Le six mai mille neuf cent trente-sept, de nouveau à New York, avant l'explosion du dirigeable Hindenburg, un matelots de l'appareil a aperçu un homme répondant au même signalement, promener sur les coursives, réalisant, selon ses dires, une inspection de routine. Trente-minutes plus tard, le ballon explosait en plein ciel et s'abattait sur la piste de Lakehurst. Montagne Pelée, vingt-neuf mille morts ; Princess Augusta, trois cent dix morts, le dirigeable Hindenburg, trente-sept décès ! Chaque fois, on dénombre des cadavres. Sa route en est jonchée.
- Etonnant. Vous m'aviez demandé des renseignements supplémentaires sur le meurtre possible de l'ancien S.S. Joachim Peiper. Selon les rapports 'officieux' des services secrets de l'époque, le colonel Peiper serait bien décédé dans sa villa des suites non d'un incendie (provoqué plus tard), mais plutôt d'un gavage à la terre. Il aurait reçu la visite d'un homme le soir du drame et aurait été empli de terre jusqu'à ce que mort s'en suive.
- Laissez-moi deviner, cet homme est un ancien S.S. Qui avait participé au massacre de Baugnez en Belgique, le dix-sept décembre quarante-quatre. Un certain Frans Halten de Dresde. Caractéristiques : grand, mince, jeune, assez beau et des yeux clairs d'une couleur étrange.
- Effectivement. Pourquoi me faire chercher si les dossiers d'Europol sont complets ?
- Ils ne le sont jamais assez ! Continuez, je vous prie. Le meurtre de Baugnez à présent.
- Je ne sais pas comment vous pouvez connaître tous ces détails, mais ceux-ci doivent vous être inconnus. J'ai retrouvé dans les dossiers de l'ancienne Préfecture de Lyon des documents signés de la main de Peiper lui-même. Le Führer lui aurait imposé un major extérieur, ni de la S.S., ni de la Wehrmacht, ni de la Waffen, un membre du parti mais disposant de pouvoirs spéciaux, un membre de la loge de Thulé. C'est cet homme qui demanda un meurtre rituel pour influencer la fin de la guerre. Baugnez fut marquée par la mort sacrificielle de quatre enfants mâles. L'homme, selon Peiper, possédait des yeux étranges, hypnotiques.
- Présent à chaque fois que la mort veut frapper. Il n'est pas humain. A mon tour à présent. Southampton, dix avril mille neuf cent douze, un marin peu porté pour les grands voyages cède son béret à un inconnu cherchant de l'emploi sur les docks. L'homme était grand, d'origine allemande selon le marin et avait des yeux d'un bleu outremer.
- Donc, ce n'est pas lui ! Votre théorie s'effondre !
- Attendez. Le marin se fit inscrire sous un nom d'origine allemande : Frans Halten Peiper ! Il est dans les rescapés sur le Californian !
- Incroyable ! Tout bonnement incroyable !
- Mais il y a mieux ... quatorze ans avant ce drame, le même homme, sous le nom de Frédéric Hawthorne Predering, inspirait à Morgan Robertson le livre 'Futility or the wreck of the Titan', un roman qui prophétisait le naufrage d'un paquebot dans l'Atlantique, suite à un accident avec un iceberg.
- Donc, vous possédez un dossier qui couvre près de cent années terrestres pour un seul être. C'est ça, le dossier D ?
- D comme diable ! Bien sur, c'est ça le dossier D ! Si l'homme est présent dans plusieurs cas, les techniques sont toutes différentes aussi : sorcellerie dans le cas du Princess Augusta, une grue de chargement dans le cas du dirigeable Hindenburg, télékinésie dans le cas du café d'Anvers, il aurait même été présent dans le Boeing cent vingt-trois, celui qui s'écrasa sur le mont Takamagahara le douze août mille neuf cent quatre-vingt cinq. Il est même noté présent en Afghanistan avec les troupes rebelles lors de l'invasion russe. Un homme grand, fort, élégant, hypnotique et imposant moralement. Et chaque fois, des yeux d'une couleur incertaine et d'une froideur incroyable.
----------
Le menu enfin servi, les deux enquêteurs se restaurèrent. Hooskens attendait la fin du repas pour continuer les recherches avec l'aide d'Interpol. Il était sur à présent certain que l'homme était ici à Lyon. Il était certain que le face à face aurait lieu ici, dans l'ancienne capitale des Gaules.
--------------
Le serveur apporta les desserts et proposa de passer un petit air de musique pour adoucir le reste de la journée. Marc acquiesça d'un signe de tête.
-----------
- Vous êtes nouveau ici, mon brave, demanda-t-il au serveur.
- Nouveau ? Ici ? J'y suis déjà venu, mais c'est bien la première fois que je sers si c'est ainsi que vous l'entendez ... oui ... d'une certaine façon je suis nouveau ... que diriez-vous d'un petit air de violon, Mijnheeren ?
-------
*****
---------
Dans son bureau de La Haye, le commissaire général Harry Rosenberg relisait le rapport remis par les autorités de la ville de Lyon et les membres d'Interpol. Il ne pouvait y croire, tant cela lui semblait louche et complètement anormal, pour tout dire. Selon les rapports du médecin légiste, il s'avérait que les deux hommes étaient décédés d'une sur-pression dans les oreilles entraînant une explosion subite du cerveau. Comme s'ils avaient entendu un bruit trop important !
------
- Et le dossier de Hooskens, où est-il ?
- Il a été impossible de mettre la main dessus, commissaire, mais nous continuons de fouiller l'endroit.
- Espérons que nous retrouverons le coupable et sans doute le dossier avec lui. Merci Henry, vous pouvez disposer.
***
Un récit de DorianGray