mardi 23 décembre 2008

Nostalgie

Je roulais depuis bientôt quatre heures lorsque j'aperçus sur le bord de la nationale une petite aire de repos somme toute fort sympathique. L'heure étant à l'arrêt et à la restauration, je décidai de m'y arrêter le temps nécessaire à reprendre des forces. Il m'en fallait bien !
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Je venais de quitter ce matin ma demeure, plutôt mon ex-demeure, dans la région de Bar-le-Duc. Quitter ! Le mot était bien faible ! Expulsé aurais-je dû dire ! Mes enfants, ayant jugé leur père gâteux, avaient décidé d'un commun accord (accord si commun qu'il me semblait presque outrageant n'eût été la gentillesse précipitée de ma belle-fille) de m'envoyer en maison de retraite. Moi ! En maison de retraite ! N'est pas né celui qui pourra m'y forcer ! Pourtant, il faut avouer que leur tour était bien conçu. Si bien que je me demande encore comment j'ai pu vouloir payer des études d'ingénieur à mon fils ! C'est la vie qu'ils m'ont dit, tu as fait ton temps, tu ne peux pas rester tout seul, une si grande maison bon-papa, vous ne vous rendez pas compte des dangers ... et patati et patata ...
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J'ai donc fui, ce matin même, en emportant toutes mes petites affaires. Tout ce qui me reste de cher et précieux : mes albums souvenirs, ma collection de livres d'histoire, mes vieilles frusques et les quelques bibelots qui me venaient de ma mère. J'ai tout enfourné dans ma vieille Citroën et j'ai pris le large. Bien malins s'ils me retrouvent. J'ai pris le chemin du sud sans savoir où aller et puis j'ai bifurqué plein est. A Dieu Vat !
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Le soleil s'était levé du bon pied, on pouvait le dire. Je ressentais les effets d'une chaleur lourde et humide sur mes vieilles épaules maigrichonnes.
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Bientôt sur notre blog ...

mardi 16 décembre 2008

Une si tendre mort ...

Le vent d'avril me gelait au cou. J'étais encore assis malhabile entre ces coussins trop ronds et trop remplis pour être honnêtes. On m'avait charmé, on m'avait fait des ronds de jambe dignes d'une altesse mais rien n'avait autant retenu mon attention, que dis-je !, mon souffle, que cet éphèbe adolescent qui brillait par sa présence entre sa mère trop gâtée par le temps et une soeur maigrichonne et bien vilaine.
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Qu'elle fut longue ma route, mais je l'ai faite seul, et à genoux. Toujours tendu vers l'avenir, les poings rongés et rouges, le coeur dur et froid. J'ai toujours volontairement poussé mes pas vers ceux des autres âmes qui parvenaient à peine à me divertir, d'autant plus à me sustenter.
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Dinard était triste et solitaire en ce mois d'hiver pluvieux et venteux. Je ne m'y étais arrêté que le temps de reprendre un voyage vers le sud profond et ses chaleurs agréables. J'étais aussi venu au rendez-vous, mais je ne le savais pas encore. Ce rendez-vous qui allait marquer mon avenir d'un pas certain. Je n'avais jamais été bien regardant sur mes victimes, mais j'aurais du comprendre que là je ne pouvais pas. Que dans ce cas extrême, cela était au-dessus de mes forces.
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A mon âge, malheureusement, on ne peut plus se permettre les frasques de nos jeunes années, quoique dans mon cas, cela remonte déjà bien loin, je n'en ai gardé presque plus aucun souvenir. Et il en est, ma foi, tout aussi bien ainsi. J'étais donc installé à la taverne de mon hôtel habituel quand je le vis entrer accompagné de sa mère et de son abominable soeur aux accents ténus de cette bourgeoisie à deux sous de la côte est.
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Il était habillé de ce petit costume bleu boutonné d'or et enserrant une jolie blouse blanche qui formait un col dur autour du cou si tendre et si clair. Je voyais ses yeux d'un noisette mielleux, ses lèvres d'une rondeur angélique. Tellement de passions dans mes vieux membres rabougris. Je n'en avais pas l'air, certes, et pour quiconque m'aurait vu, l'on m'aurait pris pour un trentenaire, mais la vieille plaie s'était ouverte en moi, une plaie plus vieille que le monde que personne n'avait pu refermer depuis et qui m'avait fait tel que l'on me connaît aujourd'hui.
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J'aurais du fuir, m'en aller de là, bouger, chercher d'autres proies plus faciles. Mais je suis resté pétrifié devant cette apparition si cruelle et si délicieuse à mes yeux délavés par la tiédeur du monde. Je me mirais dans ses cheveux d'un blond cendré d'une longueur si incroyable pour cette période où le puritanisme humain frappait si fort. Et je me pris à rêver à d'innombrables et d'incessantes caresses et d'un corps alangui sous d'autres cieux plus bleus et plus rageurs.
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Je ne sus jamais son prénom. D'autant qu'il me revienne, cela n'eut aucune importance?. J'étais né voici longtemps en terre nantaise, issu d'une famille de la haute noblesse, j'égayais mes voisins et familiers par mes frasques sombres et dépensières. Mais tout cela prit fin dans le sang et l'effroi comme il convient de l'écrire. Je n'aurais jamais pu rien faire, rien ajouter. Aujourd'hui encore, je ressens la corde dure et froide qui m'enserra le cou. Ces fous pensaient en finir avec moi. Mais rien n'a pu m'arrêter jusque là !
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J'attendais tous les soirs qu'il passe dans le restaurant, me dévoilant son visage d'archange et ses gestes de félin. j'en étais obsédé. Je n'en dormais plus, n'en vivait plus. Je ne subsistais que par procuration pour lui et son corps. La journée, allongé dans un transat blanc et vert, je le regardais batifoler dans l'eau froide et sombre de La Manche, son corps emmailloté dans un ensemble bleu et blanc soulignant s'il en était besoin ses formes généreuses.
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Un grand penseur français a écrit un jour, quelques siècles après moi, que l'homme éprouve une certaine propension à faire le mal autour de lui, qu'il est dans sa nature profonde d'être mauvais. C'est vrai ! Et faux tout à la fois. L'homme est une créature étrange : mauvaise comme une belle-mère et en même temps capable des plus grandes divagations d'amour. On n'est jamais tout blanc ou tout noir, mais d'un gris plus ou moins fort selon ses propres actes. Les miens n'ont jamais été fameux si j'en juge par le regarde que les siècles portent sur moi.
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J'ai attendu, je me suis rongé intérieurement d'être devenu si minime, si enclin à l'amour. Et puis, j'ai compris que je n'existait plus depuis bien trop longtemps. Pierret et Pierrenet avaient disparu eux-mêmes depuis plus de cinq cent ans et j'étais déjà bien trop vieux pour tromper mon ennui dans les bras d'un autre éphèbe. La vie avait gagné contre son vieil ennemi.
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Ce jour là, j'ai rangé mes affaires, remis mon épée dans son grand étui de voyage, replié les vieilles frusques que j'avais gardé en souvenir de mes fautes d'autrefois et de mes crimes actuels. J'avais poutouné durant quelques temps les photos d'un jeune garçon auquel j'avais tranché la tête avant de le violer. Je les ai brûlées ! Puis, j'ai rejoint l'église. Elle seule peut me comprendre. C'était déjà vrai à cette époque. Ça l'est encore actuellement. Elle me comprend toujours et ne me juge jamais, ma Bonne Dame Sainte Mère. Je l'ai pourtant souvent déçue. Mais cette fois, j'étais prêt à tout pour qu'elle puisse prendre sa revanche sur moi !
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J'ai rejoint la plage après quelques pénitences bien senties et de vagues remerciements à ma Bonne Dame. Le soleil était encore haut dans le ciel et je me suis donc rendu dans mon coin favori. Je suis mort une première fois en 1440, le 26 septembre pour être précis. Je ne voulais pas revenir ... mais je n'ai pas eu le choix. Peut-être vous demanderez-vous si Dieu existe. Soyez certain du contraire. Je vous assure que tout principe fondateur unique n'est qu'une pure utopie et une déformation de la réalité.
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Je ne suis pas mort une seconde fois ! Le soleil n'a pas voulu de moi. L'exposition me fut certes pénible et douloureuse, mais encore une fois je survécus ! Je n'ai jamais revu ce jeune éphèbe qui me tortura le coeur et l'âme en me poussa à vouloir ardemment mettre un terme à une existence affreuse et longue. J'ai fui l'hôtel au plus vite en laissant une partie de ma fortune à cet amour unilatéral de passage. Car je suis encore riche, voyez-vous. Immensément riche. Prelati n'avait pas menti. Ils l'ont pendu, mais il avait dit la vérité. Et chaque jour, il me manque un peu plus ... son rire sinistre, ses yeux sombres et excitants ... tout me manque ...
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Peut-être croiserai-je un jour votre route. Cachez vos garçonnets, fuyez ma présence, exécrez l'homme qui jadis trucida l'âme même de la jeunesse corrompue de France et qui devint si célèbre que même aujourd'hui son nom honni des cieux hante les livres et les contes ...
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Un récit de DorianGray