mercredi 21 janvier 2009

Les marcheurs

André et Amélie s'étaient tranquillement installés le long de la route avec tout l'équipement nécessaire. Ils étaient en vacances, mais s'il y avait une course à suivre, André était le premier à sauter sur l'occasion. Et à ce titre, Amélie, le mètre cinquante en hauteur et en largeur, aurait certainement répondu que celle-ci fait le larron !
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Il était vrai que les habitants du coin - quatorze vieux fossiles au dernier recensement datant d'avant mai 69 - les avaient appâtés avec leurs descriptions fabuleuses de cette célèbre marche qui réunissait le gratin de tous les villages voisins pour escalader le col du Messentoux.
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André se pourléchait déjà les babines en rêvant de pouvoir lui aussi grimper allégrement cette montagne et montrer combien grande était sa détermination. Malheureusement, à l'instar de sa femme, André était aussi haut que large et avait la fâcheuse tendance de s'arrêter au café du village avant d'entamer un col.
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Les marcheurs seraient cinquante, leur avait-on appris de source sure. Le vieillard à l'oeil torve leur avait même prédit du grand spectacle bien croquant comme autrefois !
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André et Amélie avaient alors préparé leurs affaires et s'étaient arrêtés au bord de la route, juste dans un tournant du col le plus serré. Ils avaient d'ailleurs pu voir que d'autres saisonniers s'étaient aussi installés sous leurs auvents bon marché avec leurs tables chargées de victuailles.
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André pestait d'ailleurs de ne pas avoir pu trouver de meilleure place, la faute à ce gros camping car américain qui bouchait en partie la vue. Et en plus, André n'avait pu en voir les occupants, sinon il aurait fait déguerpir ces étrangers de sa vue, foi de Parisien !
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Au loin, les spectateurs crurent entendre une sorte de caravane publicitaire. Effectivement, quelques vieilles jeeps que l'on aurait pu croire sortie d'un film sur la seconde guerre et décorées de banderoles à la gloire de la centième course grimpèrent péniblement le col et des hommes habillés de vieux uniformes et portant tous de grandes casquettes aux couleurs des villages lancèrent quelques souvenirs. Amélie ramassa deux porte-clés pour les spiritueux Dubonnet tandis que André, légèrement dubitatif, relevait deux sens-bon à la lavande passablement défraîchis.
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On entendit alors des bruits de pas et des cris d'accompagnement venant du bas de la montagne. André sortit ses jumelles mais ne put apercevoir correctement les marcheurs car les cimes des arbres bouchaient la vue. Ils distinguaient tout au plus des sportifs assez rapides malgré leur âge avancé et les problèmes qu'ils éprouvaient à concourir normalement.
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- C'est dommage, fit-il à Amélie, on dirait qu'ils ne sont plus de première fraîcheur. Mais moi, j'ai la dent dure, j'y suis, j'y reste.
- Tu as bien raison mon poulet ... et puis au moins ce sera amusant de voir ces vieux fossiles tenter de grimper ce col sous cette chaleur.
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Les marcheurs abordaient le bas de la côte à présent. André fixa le peloton de tête qui battait des records de marches désynchronisées. Les premiers sportifs portaient des maillots blancs et rouges dont les graphiques lui apparaissaient étranges et peu orthodoxes. Il entendit alors un cri venant de derrière lui et vit un autre spectateur jeter ses jumelles à terre et commencer à courir pour grimper le col.
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André fit le point avec ses propres lentilles et vit alors le groupe de zombie presser le pas, arborant un joyeux sourire carnassier et la langue pendant de faim entre les dents déchaussées et pointues. La chaire grasse des touristes leur donnaient toujours grande fringale.
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- Soyez les bienvenus à Messantoux, chers visiteurs, fit le vieux en sortant de sa cave à vin.
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Il portait un costume franchement démodé mais impeccablement repassé. On aurait dit son costume de grandes occasions, son costume pour le cercueil avait pensé Winnifred.
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- Vous allez rester un jour ou deux, n'est-ce pas ? Demain aura lieu la centième d'une marche unique rassemblant tous les plus vigoureux marcheurs de la commune. Ils grimperont le Mont Messantoux par l'unique sentier qui mène au sommet. Vous ne pouvez pas le manquer, il n'y a aucun autre chemin, la montée et la descente se font par le même chemin. C'est intéressant et surprenant, vous savez ?
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Un récit de DorianGray et Vampireslayer