mardi 20 janvier 2009

Le coeur du chasseur

Van Hackett détendit ses énormes guiboles sous la table de son bureau d'acajou. Se remémorer ses exploits en Afrique lui donnait toujours la trique. L'envie de revoir ce gros lion à la crinière rousse sautant au-dessus du capot de sa jeep pour l'atteindre. Mais Van Hackett n'était pas homme à se faire prendre ainsi, à la sauvage ! La tête de ce monstre de prétention ornait d'ailleurs le mur devant lui.
***
Il relut deux fois ses notes sur son antique machine. La prose lui plaisait. Indubitablement, c'était pour lui du grand cru. Un récit fort sans fioriture, sans effets de style pompeux et angoissants. Cela faisait deux mois qu'il avait été contacté par un éditeur parisien pour écrire l'histoire de sa vie sobrement intitulée 'Van Hackett : le coeur du chasseur'. Une vie passée au service de sa passion pour la chasse, la traque et l'extermination. C'étaient là ses seuls et uniques plaisirs, car il devait bien l'avouer, en-dehors de la chasse et des cuisses chaudes de sa jeune fille, rien ne l'excitait plus.
***
Van Hackett ne se considérait pas comme un monstre, mais plutôt comme un dieu, un maître jouissant de ses biens et sa petite Bets en faisait partie. Des jambes comme une pouliche mal grandie mais s'ouvrant sur un sexe joli et ferme, dispense gagnante de la jeunesse. Des fesses rondes et dures aussi qui ramenaient souvent ses pensées profondes vers d'autres profondeurs bien plus agréables que celles de l'Afrique noire.
***
Il repoussa les liasses sur le bureau et sortit un cigare rond et sombre d'un tiroir. Coupant le bout avec son minuscule ciseau-fumoir, il l'alluma et profita des première bouffées d'un véritable tabac rustique et prenant. Cela lui rappelait automatiquement ses seize ans, âge auquel son oncle l'avait initié aux choses de la vie. Ce vieux fossile pouvait bien moisir dans sa tombe, il lui manquait chaque jour un peu plus !
***
Il regarda le mur et soupira d'aise : deux rhinocéros, trois lions, deux tigres et un éléphant ... bien sur pour ce dernier, il avait du se contenter des défenses mais elles étaient bien longues et affinées par l'âge de la bête. Ses passions ! Et il avait bien envie d'en satisfaire une à l'instant. Il les savait endormies toutes les deux au-dessus et pariait fort que sa femme n'oserait jamais se lever. Elle l'avait surprise une fois dans la chambre de Bets en train de savourer la chatte de sa gosse et il lui avait fait amèrement regretté son cri. Depuis, cette vieille sangsue se tenait coite et restait dans sa chambre malgré les cris.
***
Il monta l'escalier d'un pas lourd et mesuré, desserrant son pantalon sous son énorme bedaine satisfaite, sentant déjà l'érection fatale qui gonflait son sexe comme une baudruche. Ramoner cette gamine comme un fou lui procurerait certainement un peu de jouissance avant d'aller se coucher.
***
En passant devant le salon, il entendit un bruit faible, comme une discussion à voix basse. Et par dessus tout, Van Hackett avait horreur qu'on lui cache quelque chose ! Il pénétra dans la pièce et alluma le plafonnier. Devant l'écran frituré de la télévision se tenait un jeune garçon d'une petite dizaine d'années engoncé dans un t-shirt bleu nuit et un short délavé et troué. Il tenait son visage penché vers le bas et comme légèrement penché sur la droite.
***
Van Hackett regardait le garçon sans comprendre. Un assez joli enfant, les cheveux noirs et drus, la peau blanche et diaphane. Ce petit était son portrait vivant il y a facilement quarante ans. Il ne comprit pas immédiatement ce qui lui arrivait, mais il ne manquait pas de ressource. L'enfant releva la tête et dévoila un visage mort : ses yeux étaient deux trous béants et ses lèvres rougeâtres s'ouvraient sur un gouffre de ténèbres. Van Hackett poussa un cri de surprise et fonça sur l'étranger qui agrippa de ses mains puissantes et dominatrices. Après avoir secoué l'étrange garçon plusieurs fois, il se rendit compte qu'il ne tenait plus entre ses paluches qu'un tas de vieilles frusques. Le garçon avait littéralement disparu.
***
Cette satanée expérience lui avait coupé toute envie. Il ressentait une colère vague à se voir ainsi baisé. Et être baisé, il détestait. Il soupçonnait même sa salope de femme d'avoir monté ce traquenard pour le faire chier. Il remonta les dernières marches menant à l'étage et s'arrêta net. Tout le parquet et les murs du palier étaient recouverts d'un épais liquide poisseux. Van Hackett fixa tout d'abord un tas informe qu'il avait bien du mal à déterminer avant de s'apercevoir que sa fille se tenait à l'autre bout du couloir. Elle portait une chemise de nuit maculée de sang et tenait la main d'un garçon.
***
Van Hackett comprit son erreur, mais trop tard. Il fixa à nouveau le tas ensanglanté disposé devant lui et sut qu'il était désormais veuf. Un des yeux marron de Liesl continuait à le regarder dans ce magma monstrueux de tripailles.
***
- Tes livres étaient intéressants, papa. J'y ai trouvé plein de légendes africaines fort intéressantes, vois-tu. Alors, maintenant, tu dois comprendre que tu vas partir à ton tour vers un au-delà où les crapules dans ton genre vont expier leurs fautes.
- Mes fautes ? Mais pour qui te prends-tu ? Tu m'appartiens comme tout ce que contient ma maison, tu m'as entendu, traînée ?
***
Bets serra la main du garçon et recula d'un pas. Deux yeux jaunes et froids apparurent derrière les enfants. Deux yeux gourmands. Les deux jeunes se courbèrent. Le tigre bondit et plongea sur Van Hackett et le mit en pièces. Comme une pitance, la bête apporta le coeur saignant et noirci du chasseur aux deux enfants. Le garçon regarda la fille de ses yeux ténébreux et lui sourit.
***
Un récit de DorianGray