samedi 31 janvier 2009

Pour en arriver là !

Pour en arriver là, il avait fait du chemin. Depuis les rues grises de la ville du centre jusqu'aux premières places du pays, et ensuite jusqu'à ce poste honnis de tous, il avait fait un chemin considérable. Il avait plus d'une fois payé de sa propre personne sa réussite éphémère.
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Il avait tout fait, depuis les bancs d'école crasseux et poussiéreux de son vieil établissement morne et insipide jusqu'aux premiers rôles impressionnants qui marquèrent sa carrière alors qu'il n'était même pas âgé de trente ans. Il en avait vu énormément en si peu de temps que la terre lui semblait à présent bien petite et l'univers si vaste.
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L'école n'avait pas été son lieu favori, pourtant il s'y était appliqué, bien qu'il n'ait jamais été qu'un élève moyen et borné. Les points et la réussite ! Voilà la seule chose que lui avait appris son père. Réussir et écraser. Cela, il l'avait retenu. Même s'il devait admettre par moments en être malheureux. Mais le malheur faisait partie de sa vie.
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Il était d'un bois dur et qui ce serait voulu insensible, mais je le connaissais sans doute mieux que lui. Ainsi en allait-il de sa vie. Politicien chevronné, il croyait en l'élévation du genre humain envers et contre lui s'il le fallait. Non par prétention mais par conviction. Las ! Ses convictions l'avaient poussé dans des bras noirs et extrêmes. Il avait fait tôt la connaissance d'un genre de pensée qui laissait peu de place à l'amour et à la solidarité. Pourtant, je savais qu'en secret il éprouvait encore des sentiments. Il me l'avait dit. En fait, il donnait aux autres une mauvaise image de lui.
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Mais entouré de ses hordes de cranes rasés, il fallait reconnaître qu'il n'avait pas été bon. Commençant lentement par des petites explosions minimes dans les quartiers les plus chauds de la ville, il avait lentement milité pour la sécurité et pour la protection des citoyens. Je l'avais cru à cette époque, avant que je ne me rende compte que c'était lui qui tirait les ficelles derrière cela. On s'était lentement éloigné, même si j'ai appris par sa bouche qu'il ne m'avait jamais oublié et qu'il avait veillé sur moi autant qu'il le pouvait.
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J'aurais pu être d'accord avec lui autrefois, mais j'ai changé, voyez-vous. On ne peut pas cautionner les agissements de ces nouveaux nazis des temps modernes. Il avait toujours été fasciné par la période hitlérienne et pour les fastes du IIIème Reich, il n'y avait qu'un pas pour qu'il devienne un fanatique. Il l'a franchi ... plus par dépit que par foi véritable. Je m'en sens responsable même si je sais que ce fut son choix et non le mien !
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Il n'avait jamais marqué d'attachement aux autres si ce n'est à moi et à sa fille. Ainsi, j'avais vu périr nombre d'anciens amis qui s'étaient élevés contre une lame de fond venant d'on ne savait où. Lorsque j'ai compris que rien ne l'arrêterait, je me suis battu contre lui, moi aussi. J'ai le regret de la dire. Il m'a toujours aimé et n'a jamais tenté de me faire du mal. Je sais que les deux S.S. qui m'ont envoyé à l'hôpital, il y a quatre ans, pour mes longs cheveux et mes manières peu respectueuses du gouvernement l'ont payé chèrement. Il n'a jamais été dans ses intentions de provoquer ce bain de sang. Il voulait la paix et il a eu la guerre !
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Si j'écris ces lignes, Monsieur le Président, c'est pour vous décrire, non le tyran despotique qui avait juré votre perte, mais l'homme de bine qu'était mon ami. Il ne pleurait pas souvent, c'est vrai, mais cela venait toujours du coeur. Il a perdu beaucoup lorsque sa femme et sa fille, prises de panique, l'ont quitté. La solitude l'a rendu fou ! Je sais ce que cela peut être même si maintenant je suis marié moi-même et que j'ai deux fils qui m'adorent. Autrefois lui aussi m'a adoré. Il aurait vendu la terre pour moi. Voilà ce que je veux vous dire : il était excessif en tout ! En amour comme en pensée, comme en violence. Incapable de faire le mal par lui-même, il a dévoyé la jeunesse qu'il adorait pourtant pour en faire de véritables machines de guerre.
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On en peut lui pardonner, c'est vrai, ses actes et les morts qui ont entaché sa conduite. Mais songez qu'il fut le meilleur enseignant que nous ayons eu ! Un homme qui se voulait proche des siens, proche des élèves et des professeurs, qui voulait tellement nous sortir de nos misères. Il n'y est jamais arrivé, vous savez, on en change pas quelqu'un contre sa volonté ! C'était là sa seule erreur. Je ne vous demande rien de spécial, juste de ne pas livrer son corps en pâture aux autres politiques véreux. Car lui, à défaut, ne l'était pas. Brûlez-le comme un païen, c'était cela son voeux le plus cher, brûlez-le à l'air libre et laissez ses cendres se disperser à jamais.
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Pour en arriver là, il avait travaillé dur et de manière obsédante, toujours cherchant le vice et le traquant, même le sien, s'enfermant sans cesse dans les sombres et néfastes géhennes de ses envies refoulées. Comment est-il devenu si mauvais ? Je ne crois pas qu'il l'était foncièrement. Vous vous tromperiez sur son compte. Je sais que la ville fut prise avec sang et fracas, mais il était là, lui-même, sur le champ pour éviter tant que faire se peut les massacres inutiles. Il a protégé deux jeunes Marocains qu'un de ses têtes rasées voulait abattre sans autre forme de procès. Ne vous y trompez pas, ce n'étais pas le diable, encore moins Hitler lui-même. Cette folie destructrice, il ne l'avait pas en lui !
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La famille royale en exil exige à présent des hommages grandioses pour leur prince héroïque mort au combat contre mon ami. Laissez-les donc à leur ferveur stupide. Qu'ont-ils jamais fait pour nous ? Mon ami lui-même avait défendu l'un des princes pour son appartenance aux Habsbourg, vous en souvenez-vous ? Laissez donc ces hédonistes se livrer à leurs petits jeux stupides et écoutez votre bon sens. Notre pays se porte mieux sans eux !
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Vous avez été déserteur, vous avez vous même dans un sens failli à votre mission. Même si la cause était noble. Lui n'a jamais failli. Jusqu'au bout, il a cru en sa mission et en sa décision. Il a fait certes des erreurs mais toujours dans un seul but. Je ne voudrais me rappeler que de ses lois pour le logement décent des plus pauvres, pour l'abolition complète des lois sur l'art et sur la culture, pour l'ouverture par centaines de foyers d'accueil pour démunis et pour enfants maltraités. Parce que cela aussi, c'était mon ami.
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L'Europe le fustige de criminel de guerre, de meneur de foules et d'assassins. C'est vrai ! Je le concède, mais regardez derrière le paravent l'être qui fut pour les plus démunis le seul recours contre les puissants. Je vous ai entendu depuis mon lit d'hôpital hurler que vos parents avaient été éliminés. Dois-je vous rappeler les causes de cette extermination odieuse ? Oseriez-vous dire au peuple que vous avez libéré qu'ils étaient les actionnaires majoritaires de BelgiumBank avant que sa faillite frauduleuse créée de toutes pièces par les membres de votre clan pour s'approprier les richesses des petits épargnants. Auriez-vous oublié que c'est grâce à eux que de simples petits commerçants, de petits pensionnés se sont retrouvés à la rue ?
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Je vous écris cette lettre, Monsieur le Président, non pour tenter de sauver son âme, il n'en avait pas, n'y a jamais cru et je sais pourquoi. Mais je voudrais tenter de vous faire comprendre que ses actes ont toujours été guidés par sa foi en un homme meilleur. Vous et vos amis actionnaires et trésoriers avez trahi le monde dans lequel nous vivons. Mais une chose est certaine, une révolution est en route et vous en pourrez la stopper.
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Maintenant, voilà les mots qui tout à l'heure vont jaillir sur les écrans de télévision dans tout le pays. Je l'ai combattu lors de la manifestation à Charleroi. Nous étions des centaines de milliers contre lui, nous l'avons assailli dans son palais au centre de la ville haute. Son palais ! Parlons-en ! Vous avez essayé de faire croire qu'il avait profité du pouvoir, qu'il s'était fait construire une maison dorée en pleine ville ! Horrible mensonge quand on voit l'état actuel de la maison communale et de la place. Jamais telle chose n'a été construite ! Vous le savez, les habitants de la ville le savent aussi ! Vous ne nous ferez pas taire.
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Il s'est rendu lui-même au-devant des manifestants pour leur faire comprendre son point de vue. Il savait que j'étais là ! Ses soldats ne l'ont pas suivi, ils ont voulu ramener l'ordre par la violence. Et je l'ai vu, lui que vous jugez pleutre et monstrueux, je l'ai vu lui se placer devant les fusils de ses soldats pour me protéger de leurs balles, ce qui me doit uniquement une balle dans la jambe aurait pu se transformer en une tombe pour mes fils. Quand son corps est tombé sur les pavés rougis, il m'a regardé et je l'ai vu sourire comme il souriait autrefois quand il m'aimait encore. Il m'a regardé et a sorti son fusil personnel à crosse de nacre. Il a tiré en direction de ses propres hommes pour les faire reculer et arrêter et a fait appeler son chef d'état major. C'est à mon ami que je dois ma vie, c'est à lui que nous devons l'arrêt de cette guerre civile. Il l'a arrêté d'un seul mot et d'un seul geste. Et ce geste, vous ne le portez pas alors que moi oui. Il m'a regardé, a baisé mes lèvres comme il aurait toujours voulu le faire autrefois, il a souri une dernière fois et s'est enfourné l'arme dans la bouche. C'est sa mort et non votre action qui libéra le pays, voyez-vous. Alors songez-y avant de mettre son corps et son action en charpie ! Songez que vous pouvez devenir meilleur que lui mais qu'il vous faudra vous battre pour cela et non revenir en arrière. Je vais bientôt sortir d'ici et retrouver les miens. Mais je garde au fond de mon coeur une place particulière pour cet homme qui un jour m'aima plus fort que tout et qui tenta de me rendre heureux alors que je pleurais. Fasse que son esprit, s'il en possédait un, soit à présent en paix !
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Un récit de DorianGray