lundi 19 janvier 2009

Une collaboration difficile

Les insignes d'un blanc nacré brillaient aux cous des hommes sur le noir ébène de leurs uniformes. Des vêtements aussi sombres que la nuit qui s'abbattait sur une capitale occupée. Les hommes avaient reçu leur ordre de destination ce matin même, au saut du lit. Les véhicules stoppèrent dans la cour d'un petit hôtel parisien.
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Le Hauptsturmführer Heinze fit un signe à ses Standartenjunkers. L'Opel Blitz s'immobilisa tandis que les jeunes hommes, à coups de crosse, obligeaient la famille Baumengold à monter à l'arrière. Un autre camion s'emplissait progressivement des meubles et bibelots des futurs locataires d'un camp très spécial.
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Mathilde Fernard regardait la scène d'un oeil lubrique et vaguement intéressé. Une gamine de cinq ans fut traînée de force hors de la maison et abattue d'une balle de Luger en pleine tête. Tandis que la mère hurlait dans la ridelle du camion, les hommes débarrassaient la rue du corps de la gamine. A coup de bottes, le grand-père fut traîné derrière le mur. Une détonation retentit et les hommes revirent en souriant largement.
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- Bravo, Madame, fit simplement Heinze. Je constate avec joie que tous les Français n'ont pas oublié le sens civique.
- je m'en fais une grande constante, Herr Heinze. Et je constate à mon tour que la légendaire rigueur allemande dépasse, et de loin, les histoires.
- Bref ! Vous trouverez votre compensation pour tant de loyauté à l'endroit habituel. Disons, chez Jacques, demain treize heures.
- Bien Hauptsturmführer, j'y serai sans faute.
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Mathilde Fernard était une 'collabo' comme ils disent. Depuis deux ans, pour quelques billets complémentaires et un peu de considération, elle vendait des familles entières, promises à un avenir affreux. Mais après tout, qui s'en moquait. Ce n'était au mieux que des Juifs ! La plaie de l'humanité !
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Elle se savait suivie depuis deux jours. Suivie par un Français qui plus est. Un homme de son pays qui ne comprenait pas l'importance de la purge prônée par le Führer du Grand Reich de mille ans. Elle savait bien sur qui il était. Un simple petit commissaire du 8ème arrondissement qui la surveillait depuis quatre mois quand ses opérations fructueuses l'avaient conduite dans ce quartier de la capitale.
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Elle savait pourtant comment s'en débarrasser. Mais il lui faudrait encore prendre patience. Elle savait que la Gestapo allait l'écouter. Qu'il s'agisse du capitaine Heinze ou encore du lieutenant Hackerle. Ces hommes-là l'écoutaient toujours en se montraient toujours compatissant envers une pauvre veuve qui avait perdu son fils unique lors des premiers jours du combat.
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Rencontrer ce capitaine demain et ensuite se proposer une finalité d'usage envers ce gêneur. Et peut-être devrait-elle songer ensuite à changer de ville. Les Allemands pourraient protéger une femme de son standing. Elle songeait déjà à Lyon. Sa soeur habitait là et elle pourrait toujours l'accueillir.
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Paris semblait presque éteinte. Les gens se cachaient chez eux, sortant rarement, cherchant à subvenir à leurs besoins par diverses solutions de rechange. Le commissaire Lentier n'était pas du genre à balancer. Il avait toujours été intègre et même cette guerre ne le ferait pas changer d'avis. Il entretenait quelques rapports privilégiés avec l'un des chefs de la police allemande dans la capitale, le major Hauss. C'est grâce à cet homme que de nombreux réfugiés politiques pouvaient rejoindre la Suisse en échange de quelques éléments de sécurité quant aux prisonniers allemands maintenus en captivité en Angleterre. Cela avait commencé de cette manière lorsque le fils du major, pilote à la Luftwaffe s'était fait prendre au cours d'un raid aérien contre Londres. Ainsi, le major entretenait-il des relations 'commerciales' avec la résistance.
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Depuis quatre mois, il surveillait les moindres gestes de cette horrible bonne femme. Une collaboratrice abominable qui prenait plaisir à 'vendre' des familles entières de Juifs à la Gestapo. Hauss comme lui détestait la Gestapo. Il n'était pas nazi, mais il lui fallait reconnaître que ces barbares incultes étaient pour l'instant trop puissants pour quiconque.
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Dans deux jours, il pourrait sans doute en finir une bonne fois pour toutes avec cette Mathilde fernard. Ensuite, il rejoindrait la résistance sur le front normand. D'ici là, il lui faudrait agir avec prudence.
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Le jour suivant, Mathilde dîna fort bien en compagnie de Heinze, vêtu en civil, dans le restaurant indiqué. Une enveloppe contenant quelques tickets de rationnement et différents bons pour obtenir divers produits fut directement empochée. Ensuite, elle exposa son problème au capitaine S.S.
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- Nous réglerons ce problème dès ce soir, très chère, fit Heinze avec suffisance et prétention. Ensuite, nous vous verrons quitter la capitale. Vous nous manquerez. Votre efficacité dans la traque de ce péril était fort appréciable.
- Tout a une fin, capitaine, dit simplement la femme. Et je dois aussi songer à mes vieux jours.
- Bien sur, je le comprends. Nous pouvons donc déjà vous délivrer ces papiers qui seront amplement suffisants pour pouvoir passer la frontière et vous rendre à Lyon.
- Cela signifie que vous ne m'aiderez pas ? Vous .. enfin je veux dire ... vous ne ...
- Nous ne vous conduirons pas directement à Lyon si c'est ce que vous entendez. Je suis désolé, mais la résistance elle-même vous recherche et nous ne pouvons nous permettre de perdre une pareille ... chèvre ... pour le loup !
- Mais ... Vous ne pouvez ... Je vous ai servi du mieux que j'ai pu depuis ...
- Mais toute chose a une fin comme vous le faisiez remarquer plus haut. Nos affaires furent florissantes, mais elles doivent à présent stopper. Contre notre volonté, suis-je obligé de vous le faire remarquer.
- Mais je vous comprends, bien sur, mais j'ai toujours été un excellent ... agent ... à votre service ... alors ... enfin, je ...
- Il suffit ! Il suffit, Madame. Vous venez de recevoir des papiers corrects et valides pour passer d'une zone à l'autre, alors faites-en bon usage, mais n'essayez plus de me convaincre outre mesure. Et maintenant, si cela ne vous fait rien, je vais profiter de mon repas au calme et ... en solitaire.
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Mathilde parcourait les rues assombries de la ville, suant comme un porc à chaque enjambée plus longue que l'autre. Elle soufflait et luttait contre l'envie de se jeter à l'eau. Son coeur battait la chamade comme une gigue de Saint Jean. Elle sentit bientôt le froid de la nuit qui s'insinuait partout à la fois. Les ténèbres recouvrirent bientôt les crocs d'ivoire de Montmartre et les tours massées de Notre-Dame. De Ménilmontant à l'île de la cité, Paris s'apprêtait à s'endormir.
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Mathilde descendit une volée de marches menant aux quais de Seine aussi rapidement que possible, mais stoppa soudain. Un bruit avait attiré son attention.
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- Désolé de vous interrompre dans votre fuite, mais je n'ai vraiment pas le choix que de vous arrêter maintenant. Vous êtes la honte de la nation française.
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Mathilde n'avait aucune raison de répondre à Lentier. Elle devait seulement tenter de lui échapper. Le commissaire sortit une arme de sa poche et l'arma. Avant qu'il ait eu l'occasion de s'en sortir, la femme était sur lui, brandissant un couteau de table. S'agrippant l'un à l'autre dans une véritable danse macabre. Après cinq minutes de combat, ils tombèrent tous deux à l'eau continuant de se frapper tandis qu'ils étaient entraînés.
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L'homme leva son visage de ses notes. Il rassembla ses petites affaires et regarda bien en face la femme qui se tenait vautrée dans le sofa, un coussin appuyé sur sa jambe blessée. Il sourit et reprit sa valise en mains.
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- Vous devrez bien surveiller vos fatigues possibles. La fièvre, surtout, c'est dangereux dans votre état. Prenez bien les préparations que je vous recommande ... mais aurez-vous l'argent nécessaire pour ...
- Ne vous en faites donc pas pour ça ! J'en ai suffisamment pour quitter cette capitale maudite !
- Réellement ? Voilà qui est intéressant ! Et bien je vous laisse donc, je repasserai demain examiner votre plaie. Non, laissez donc cet argent où il est ... vous en avez bien plus besoin que moi !
- Je vous remercie vraiment, docteur ...
- Docteur Marcel Petiot ! Soignez-vous bien, je reviens !
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Un récit de DorianGray