mardi 20 janvier 2009

Le garçon qui hurlait à la lune

Le village se réveillait d'une nuit froide et brumeuse. Le boulanger avait déjà allumé son four tandis que le fermier s'était déjà occupé de sortir ses bêtes. L'église marqua sept heures et le reste des villageois s'éveillèrent enfin.
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Marc ouvrit les yeux et contempla la masse du bourg surplombé par un beau ciel bleu dans lequel le soleil tentait de percer. Une jolie journée si son père ne lui donnait pas trop de travail. Il l'entendait déjà qui remuait l'âtre en bas et qui se préparait à aller nourrir les bêtes. Sa petite soeur devait dormir encore. Marc se leva, ôta sa chemise de nuit et prépara ses vêtements sur une chaise. Il passa sa chaîne avec la croix du Christ que lui avait donnée sa mère et s'habilla.
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Elodie dormait à poings fermés. Marc lui caressa doucement les cheveux et sourit au petit visage qui s'éclairait. Il aimait tellement sa petite soeur. C'était tout ce qui lui restait de sa mère après tout. Ils descendirent ensemble dans la cuisine où leur père s'affairait autour d'un repas frugal.
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Antoine Dupage regardait ses enfants descendre les marches avec amour et envie. Marc était un garçon beau et blond comme sa mère avec des yeux d'un bleu délavé magnifique. Elodie était aussi belle qu'elle n'était menue et fine comme l'avait été Emilie. Chaque fois qu'il voyait ses enfants, il revoyait sa femme, sa pauvre et chère épouse, décédée en mettant sa fille au monde. Il n'avait plus qu'eux sur terre et il était désormais décidé à tout faire pour les sortir de ce village, pour leur donner un avenir.
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- Vous avez bien dormi les enfants ? Je vous ai préparé un petit déjeuner pour que vous puissiez prendre des forces.
- Merci, papa, fit Marc. Ce sera très bien. Auras-tu besoin de moi aujourd'hui ?
- Je ne pense pas. Tu pourras aller t'amuser dans les bois, mais prends garde à toi ! L'abbé Henry a promis de s'occuper d'Elodie aujourd'hui. Il fera un peu de jardinage avec elle.
- Chouette, fit la petite. Il est gentil, Henry et on fait toujours plein de choses amusantes avec lui.
- Et toi, papa, demanda Marc. Tu vas devoir partir, c'est vrai ?
- Oui, pour trois jours, mais je reviendrai vite. Si les affaires se passent comme prévu, je reviendrai un peu plus riche qu'à l'aller. L'abbé s'occupera de vous pendant mon absence. Ce soir, vous logerez au presbytère. J'irai porter vos affaires là-bas avant de partir.
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Marc sortit quelques minutes plus tard, après avoir passé un survêtement chaud en laine. Il respira l'air froid de la matinée et se dirigea ensuite vers la boutique du forgeron. Le bourg s'égaillait d'une nouvelle journée de labeur. Marc salua Petit-Jean, le charpentier, au travail sur le toit du meunier. Joseph, le paysan du fond du village, salua le garçon et s'en fut à la recherche de sa fille, Audeline. C'était sans aucun doute la plus jolie fille du village, mais elle était d'un caractère parfaitement versatile.
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Comme tous les garçons du village, Marc ressentait une petite attirance envers cette jeune et capricieuse beauté. Il allait souvent la voir quand elle faisait la lavandière ou quand elle aidait son père aux champs. Il devait faire vite entre deux courses pour son père, mais ce dernier se montrait toujours compréhensif. Il avait été jeune avant son fils après tout.
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Marc suivit le cour de la rivière. L'eau se teintait joyeusement de jolies couleurs mordorées avec les éclats du soleil. Il fallait la traverser pour atteindre la forêt, mais Marc s'en moquait car il nageait très bien, même si à cette période de l'année, il s'agissait plus d'une pataugeoire. Marc entra jusqu'à mi-mollet et traversa au gais. La forêt n'était pas loin et Marc aimait s'y promener. Un jour, il avait même pu y rencontrer Audeline prenant un bain dans l'une des vasques naturelles. Il l'avait entendue plus qu'il ne l'avait vue et de peur de lui faire peur ou même de l'apercevoir nue, il n'avait osé s'approcher.
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Les arbres prenaient à nouveau de belles teintes vertes avec le printemps naissant. La chaleur montait à présent, cran par cran. Bientôt il ferait assez bon pour que Marc ôte sa veste. Le tapis moussu était agréable. Marc aimait s'y promener pieds nus. Il choisit son sentier favori, s'installa sur un rocher proche et ôta ses souliers souples crottés et sa veste. Il les posa sur la roche et entreprit ensuite d'ôter ses chausses trempées. Il enleva son haut de chausse et baissa ses bas. Il savait se retrouver ainsi à moitié nu, mais il savait aussi que personne ne le surprendrait dans ce coin-ci. Il était toujours seul dans ses balades en forêts sans qu'il n'en comprenne la raison. L'endroit était pourtant vaguement idyllique. Après avoir repassé son caleçon, il déposa ses affaires derrière un bosquet et les étendit pour les faire sécher comme il en avait l'habitude.
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La promenade lui fit le plus grand bien. Marc était un doux rêveur et le chant des oiseaux comme le pépiement des oisillons dans les nids étaient pour lui une douce musique. Il aimait le vent sifflotant autour de lui et embrassant ses légers cheveux blonds. Il aimait la fraîcheur d'une brise de mai sur sa peau et plus que tout, il aimait la tranquillité et le silence de la forêt. Les autres enfants de son âge étaient souvent brutaux, mauvais, fourbes et sans réels autres talents que celui de devenir chasseur. Ou braconnier selon les moyens et l'usage !
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Le sentier louvoyait entre des marres paisibles et des bosquets d'épicéa d'un vert tendre. Marc se balada jusqu'à ce qu'il perde totalement la sensation de temps et d'espace. Il trouva une petite clairière agréable et sentant le miel, la mousse et la sève. Quelques roches polies par le temps laissaient libres une vaste place réchauffée par une trouée dans les arbres où apparaissait le soleil bienfaiteur. Il respira à plein poumons l'air frais et se sentit tout ragaillardi. Il ôta sa chemise qu'il posa sur une roche et fit glisser son haut-de-chausse jusqu'à terre. Ainsi totalement nu, il se coucha à même le sol rendu doux et lisse par la mousse et l'herbe fraîche. Il s'endormit en rêvant d'immenses espaces bleutés et de fleurs aux parfums exotiques.
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Le jeune garçon se réveilla bien plus tard alors que le soleil couchant dardait de ses rayons éteints et orangés les contours naissants des ombres pesantes. Il se leva, éprouvant soudainement un violent mal de tête et constata que l'endroit avait changé durant son sommeil. Bien qu'il sache que cela était impossible, il devait bien se rendre compte que cet endroit n'était pas la jolie clairière où il s'était assoupi quelques temps auparavant.
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Autour de lui, des fleurs bleues tapissaient le sol comme une marée à l'odeur entêtante. Marc se baissa et ramassa une poignée de ces originalités bleutées. Les fleurs une fois cueillies semblèrent mourir et se flétrir entre les doigts du garçon et finalement elles semblèrent disparaître dans la chair même de Marc. Une douleur violente s'empara de ses membres et il sentit un véritable brasier inonder tout son corps. Devant la puissance de l'assaut, il tomba sans connaissance.
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Il se réveilla dans un endroit sombre et humide. Mais au moins y faisait-il chaud ! Il se leva et vit ses vêtements posés sur une chaise à coté de son lit. Ils étaient encore un peu mouillés. On l'avait donc transporté ici pour le protéger, espérait-il. Il fit le tour de la pièce. Trouvant la porte, il l'ouvrit et se retrouva dans une grande pièce enfumée et chaude, dressée autour d'un antique cheminée rustique dispensant une lueur fantomatique. Devant le foyer se tenait une vieille accroupie. Marc mit ses mains en coupe devant son sexe et s'avança.
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- Bon ... bonjour ... madame ...
- Oh, fit la vieille en se retournant. Tu m'as surprise, petit. Alors, tu as retrouvé tes esprits ? Viens ... viens te chauffer ici, viens près de la vieille Anne. Tes vêtements sont encore mouillés, je vais t'en donner d'autres, secs et chauds. Regarde, ils sont devant l'âtre, habille-toi.
- Merci. Qui ... qui êtes-vous ? Comment m'avez-vous trouvé ?
- Oh, je te connais ... tu es souvent venu dans ces bois. Je suis Anne Huffens, la veuve Huffens comme ils m'appellent tous ici. Je vis en bordure de cette forêt. J'ai trouvé une partie de tes vêtements dans un bosquet avant le sentier. J'ai pris peur pour toi et je suis allée à ta rencontre. Heureusement, je t'ai découvert dans cette clairière où personne ne va jamais et surtout où personne ne s'endort.
- Pourquoi ?
- Oh, c'est une longue histoire. Disons que c'est un endroit peu bénéfique à l'être humain. Mais il va être temps pour toi de reprendre ton chemin. Ton père doit être mort d'inquiétude.
- Il n'est pas là pour l'instant. Il est parti pour trois jours au grand marché annuel de Mesançon. C'est le curé qui s'occupe de ma soeur et de moi.
- Alors, habille-toi vite, je vais te reconduire.
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Le temps que Marc passe les vêtements prévus à son usage, la vieille Anne s'était emparée d'un bâton de marche et d'un sac de provisions. Elle tourna le visage et regarda le corps nu du garçonnet.
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- Qu'est-ce ? Tu savais que tu avais une marque dans le dos, demanda-t-elle au jeune homme.
- Non, dit celui-ci sans se retourner. J'ai une marque ? Une marque de quelle sorte ?
- Viens donc voir ici par toi-même, je dois avoir un morceau de miroir ici quelque part ... Ah, le voilà, tiens regarde.
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Ayant enlevé la chemise qu'il était en train de passer, Marc s'avança et offrit son dos nu à la vieille. Anne fit glisser le miroir jusqu'au début des fesses de l'adolescent et Marc vit une griffure rouge et effilée juste au bas de son dos. Comme une déchirure, mais déjà quasiment guérie.
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- C'est une marque mauvaise, petit, fit-elle en repoussant le miroir. La marque du loup. Je ne sais pas ce qui est mieux entre te garder à la maison ou te reconduire au village. Prépare tes affaires, peut-être que Henry pourra y faire quelque chose !
- Oui, je me prépare. Ma soeur est toujours chez lui, alors ce sera mieux, je suppose.
- Sait-on jamais. Je vais prendre quelques ustensiles qui nous seront peut-être utiles.
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A venir sur le blog